La Rome antique, vérités et légendes
Tilloi-d’Ambrosi (D.) La Rome antique, vérités et légendes. Perrin : 2023, Paris. – 304 p. – ISBN : 9782262099169
Après avoir convié le lecteur à passer une journée entière à l’époque de Néron[1], Dimitri Tilloi-d’Ambrosi se penche sur Rome et son modèle de civilisation, qui n’ont cessé de nourrir l’imaginaire.
Agrégé, docteur en Histoire romaine, Dimitri Tilloi-d’Ambrosi est professeur dans le secondaire et enseigne à l’université de Lyon III. Spécialiste des questions alimentaires, sa thèse portait sur la cuisine et la diététique à Rome, du IIIe siècle av. J.-C. au IVe siècle ap. J.-C. Il a publié plusieurs ouvrages, notamment chez Arkhê : L’Empire romain par le menu (prix Anthony Rowley 2018) ; Les Voyages d’Hadrien. Sur les traces d’un empereur nomade ; et aux PUF : 24 heures de la vie sous Néron.
Pour ce nouveau livre, La Rome antique, vérités et légendes, l’auteur pose donc la question des idées reçues et des clichés véhiculés à propos de Rome. Tantôt matrice acclamée de notre civilisation, tantôt symbole exécré de tous les excès, l’histoire de Rome est beaucoup plus complexe. En s’appuyant sur les auteurs anciens, l’épigraphie, les fouilles archéologiques les plus récentes, Dimitri Tilloi-d’Ambrosi apporte toute la nuance nécessaire à la bonne appréhension d’un monde romain pluriel.
Le livre est construit à partir d’une série de questions, toutes portant sur un point précis de la civilisation romaine. Chaque chapitre apporte une réponse à la question posée. Et par leur thématique, ils sont indépendants les uns des autres. Ainsi, liberté est donnée au lecteur de lire le livre dans l’ordre qui lui convient ou de se contenter des passages qui l’intéressent le plus.
En près de 300 pages, la civilisation romaine est, ainsi, balayée dans ses aspects les plus divers et même les plus prosaïques : politiques, militaires, culturels…, jusqu’à la santé et au régime alimentaire des Romains. Parfois, le titre du chapitre, par le choix des mots employés, volontairement contemporains, interpelle, suscitant l’intérêt. En effet, parler de tourisme, de végétarisme, ou encore, de pollution, à propos de l’Antiquité, peut paraître anachronique et fait plutôt écho à nos préoccupations.
La question : “Les femmes romaines étaient-elles émancipées ?” est, certes, un stéréotype, né de la comparaison avec la situation de la femme grecque. Mais la position des femmes romaines a évolué au fil des siècles. La situation d’une esclave n’avait rien à voir, non plus, avec celle d’une aristocrate.
Parler d’émancipation n’en est pas moins anachronique dans une société marquée par la domination politique, sociale et économique du seul citoyen romain. Toutefois, à l’heure d’un certain renouveau du féminisme, la question intéresse. L’emploi, page 149, du néologisme “féminicide” à propos d’une femme morte des mains de son mari à Lyon, le souci de la nommer, de souligner le chagrin de son frère et de son fils, nous renvoient à l’actualité. Aborder la question de la place des femmes, c’est, en outre, parler mariage, divorce, contraception, avortement…, mais aussi rappeler le contrôle du corps des femmes par l’intermédiaire de la médecine, de la loi (l’adultère) ou de la morale (connue par les inscriptions funéraires). Cependant, malgré la tutelle masculine exercée sur les femmes, certaines ont su acquérir une réelle indépendance économique, quand d’autres, à l’instar d’Hypathie, ont assis une position d’autorité par leur savoir. La question des femmes romaines permet donc, par comparaison, d’interroger notre époque.
Les 25 chapitres, suffisamment courts pour ne pas lasser, mais suffisamment longs pour développer, accordent, comme nous venons de le voir, une large place à la vie quotidienne des Romains, les rendant plus proches de nous. En outre, le sous-titre du livre, Vérités et légendes, pique la curiosité, en promettant une mise au point sur les souvenirs, voire les fantasmes que Rome a laissés.
Cette promesse est-elle tenue ?
Elle l’est.
L’écriture claire et précise de Dimitri Tilloi-d’Ambrosi rend la lecture de ce livre très agréable et accessible. Rappelons que l’auteur est professeur dans le secondaire et, qu’à ce titre, il maîtrise les questions de didactique.
Ainsi donc, nul besoin d’être expert en histoire romaine pour apprécier ce livre. Si un étudiant, même de premier cycle, n’y trouvera pas matière pour compléter son cours, c’est tout à fait le genre d’ouvrage qui peut avoir sa place dans un Centre de Documentation et d’Information de lycée. Car, sans entrer dans les détails des événements auxquels il fait allusion dans tel ou tel exemple, Dimitri Tilloi-d’Ambrosi n’en parvient pas moins à illustrer son propos, tout en laissant la possibilité au lecteur d’en apprendre plus, grâce aux notes de bas de page. On regrette, à ce sujet, que les références ne fassent pas l’objet d’une bibliographie.
C’est donc un ouvrage parfait pour en apprendre plus sur Rome ou pour rafraîchir des connaissances depuis longtemps oubliées, voire les réactualiser.
En effet, chaque titre de chapitre, problématisé, annonce donc que l’idée reçue abordée va être discutée. L’auteur part de ce qui est tenu comme un fait (la fondation de Rome, les orgies auxquelles se livraient les Romains, la folie des empereurs…) et, ensuite, vient apporter la contradiction et rétablir la vérité historique, à l’aune de ce que la recherche actuelle permet d’affirmer.
Cet ouvrage n’est donc pas une simple compilation, c’est un travail d’historien auquel se livre l’auteur et, par conséquent, il commence par mener une critique des sources littéraires. On le constate lorsque, dans la partie consacrée à la folie supposée des empereurs (chapitre 7), Dimitri Tilloi-d’Ambrosi met en garde contre la partialité des auteurs anciens. Parce qu’ils étaient membres des classes dirigeantes (l’auteur de l’Histoire auguste était sénateur ; Suétone, chevalier) ou chrétiens (Lactance, converti au christianisme), les auteurs se souciaient de leur classe et / ou de leur communauté et ne se piquaient pas d’impartialité. Au contraire, leurs écrits permettent de dresser, en creux, le portrait du prince idéal. À travers les empereurs les plus conspués (Néron, Commode, Elagabal…), ce sont donc tous les travers (les dépenses somptuaires, le rapport au corps, aux plaisirs…) rendant un empereur indigne de la fonction qu’il occupe, qui sont mis en avant et, à l’inverse, toutes les vertus (la modération, la figure du père…) qu’il doit faire siennes. Dimitri Tilloi-d’Ambrosi explique qu’il convient donc de ne pas se cantonner à ces seules sources, mais qu’il importe de recourir, par exemple, à la numismatique et à l’épigraphie pour confronter ces récits et nuancer le propos. Après avoir conduit ce travail, il apporte une réponse claire et nette, manière de clore la discussion, ne laissant pas le lecteur frustré, quelle que soit la question posée.
Nathalie Comparot,
Professeur dans le secondaire – Troyes
[1] Tilloi-d’Ambrosi, D. (2022). 24 heures de la vie sous Néron. PUF.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Nathalie Comparot (25 septembre 2023). La Rome antique, vérités et légendes. Actualités des études anciennes. Consulté le 2 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/tcbc