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Une remarquable peinture murale romaine à Die

La fouille préventive menée par l’Inrap en 2012-2013 sur le parvis de la Cathédrale de Die[1], (Drôme) a permis d’atteindre, à l’emplacement d’une fosse de plantation d’arbre de seulement 4 m², les niveaux antiques sous-jacents. L’angle d’une pièce romaine a été dégagé. Elle conservait la partie basse de ses murs couverts d’enduits peints, mais surtout l’effondrement, en milliers de fragments, des parties hautes des parois. Les morceaux de cette fresque ont été soigneusement prélevés puis patiemment réassemblés lors de l’étude toichographologique[2]. Ils révèlent l’architecture et le riche décor d’une pièce du Ier s. apr. J.-C., appartenant à un édifice dont rien d’autre n’est connu.

Reconstitution (cl. J. Boislève, Inrap)

 

Zone médiane du décor avec panneaux rouges et inter-panneaux noirs (cl. J. Boislève, Inrap).

Les recompositions importantes, sur près de 13,20 m² de surface peinte, ont permis une parfaite connaissance du décor. La composition, des plus classiques, présente une zone inférieure alternant compartiments noirs et inter-compartiments rouges, et une zone médiane, plus haute, à panneaux rouges et inter-panneaux noirs. En zone inférieure, les compartiments sont ornés, dans leur diagonale, d’un thyrse (la lance du dieu Bacchus) agrémenté de rinceaux de feuilles tandis que les inter-compartiments accueillaient un échassier malheureusement très mal conservé. En zone médiane, la division reprend le même rythme avec une inversion des couleurs, c’est-à-dire avec des panneaux rouges au-dessus des compartiments noirs et des inter-panneaux noirs au-dessus des inter-compartiments rouges, donnant à la paroi un fort contraste chromatique.

Panneaux et inter-panneaux accueillent en outre de riches et délicats ornements qui enrichissent considérablement le décor. Ainsi, des guirlandes de petites feuilles vertes parsemées de fleurs rose, rouges et blanches, s’accrochent aux angles supérieurs des panneaux où elles sont attachées par un ruban. Au centre du côté supérieur de chaque panneau, est accroché un masque dont deux exemplaires sont connus, représentant Bacchus, dieu du vin et son acolyte Pan, dieu des bergers, mi-homme, mi-bouc, reconnaissable ici aux cornes qui ornent son front.

Détail des masques suspendus, Bacchus et Pan (cl. J. Boislève, Inrap)

Détails des sphinx au sommets des candélabres (cl. J. Boislève, Inrap)

Toutefois, les ornements les plus développés sont, comme souvent, les candélabres qui se détachent sur le fond noir des inter-panneaux. Foisonnants et peints avec une remarquable minutie, ils sont constitués d’un empilement de multiples ornements de feuilles, fleurs, ombelles et volutes où s’accrochent une multitude d’objets et d’animaux. On trouve ainsi une paire de dauphins plongeant, des tambourins, des cratères, des coupes, et surtout de nombreux oiseaux, échassiers ou passereaux, voletants ou posés sur quelques fleurs ou tigelles secondaires.

Au sommet de chaque candélabre, sur une ombelle ou une demi fleur, trône un sphinx aux pattes félines et aux ailes déployées.

Relevé, photo et restitution d’un des candélabres chargé d’objets et d’animaux (cl. J. Boislève, Inrap)

Dans un assez bon état de conservation, cette peinture a livré de multiples informations architecturales. La recomposition de grandes plaques permet ainsi d’établir précisément la hauteur de la pièce, soit 3,80 m sous plafond. Au revers des enduits, les empreintes imprimées dans le mortier révèlent une construction en adobes, c’est-à-dire en briques de terre crue montées sur un soubassement de pierres maçonnées. L’attention portée aux observations techniques permet par ailleurs de mieux appréhender le travail des artisans peintres et l’organisation du chantier. Ainsi, la recomposition de grandes plaques, appartenant à différentes parois de la pièce révèle certains caractères techniques comme la mise en place de repères et de tracés préparatoires (peints et incisés) grâce auxquels le peintre cale et esquisse les grandes lignes du décor et certains motifs, avant d’en réaliser la peinture à fresque qui n’autorise aucun repentir. L’observation de petites différences de traitement dans certains éléments (par exemple au niveau des guirlandes ou des bordures à motifs encadrant les panneaux – on parle de bordure ajourée) montre l’intervention simultanée d’au moins deux peintres et donc un travail d’équipe. S’ils exécutent une même composition générale, chacun en réalise les détails à sa manière, avec plus ou moins de dextérité.

D’autres indices, plus rares, sont visibles sur la peinture et permettent de toucher un peu à la vie quotidienne dans cette pièce richement ornée. Ainsi, une empreinte rectangulaire carbonisée à la base de la peinture à permis de replacer un meuble bas, coffre ou banquette, qui était appuyé contre le mur.

D’un point de vue stylistique, cette peinture correspond à un décor soigné, sans doute assez luxueux, et les motifs développés sont typiques des modes en vigueur dans la seconde moitié du Ier s. apr. J.-C. Certains d’entre eux sont même particulièrement bien connus dans la vallée du Rhône et révèlent le répertoire propre à quelques ateliers locaux dont la finesse de ce décor permet par ailleurs de mesurer tout le talent et le savoir-faire.

Malgré la toute petite surface antique abordée par la fouille préventive, l’attention portée aux vestiges de peinture par l’équipe d’archéologues guidée par un spécialiste (le toichographologue) a permis la récupération d’un ensemble remarquable qui livre une multitude d’informations techniques, architecturales et stylistiques sur un bâtiment qui reste à explorer plus largement. Ces peintures constituent en outre le premier exemple connu dans la cité de Die, de cet artisanat d’époque romaine. Il lève un petit coin du voile sur la richesse du patrimoine archéologique encore conservé dans les sous-sols de la ville. 

Après son étude et sa publication scientifique, ce décor est toujours en attente de restauration et d’une future présentation dans les collections du musée de Die et du Diois où il est aujourd’hui conservé. 

Julien Boislève,

Toichographologue – Inrap

[1] Fouille Inrap dirigée par Christine Ronco, étude toichographologique par Julien Boislève, Inrap.

[2] Études des peintures murales

Pour en savoir plus :

BOISLÈVE (J.), RONCO (C.). – Pan, Bacchus et le sphinx. Une peinture murale d’époque romaine découverte à Die (Drôme). In : BOISLÈVE (J.), DARDENAY (A.), MONIER (F.) dir. – Peintures et stucs d’époque romaine. Une archéologie du décor : actes du 27e colloque de l’AFPMA, Toulouse, 21-22 novembre 2014. Bordeaux : Ausonius, 2016. 438 p. : ill. (Pictor, collection de l’AFPMA ; 5), p. 37-58.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Julien Boislève (8 décembre 2023). Une remarquable peinture murale romaine à Die. Actualités des études anciennes. Consulté le 10 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/tccu


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