Mosaïque de la place Charles de Gaulle – Poitiers (86)

Mosaïque de la place Charle de Gaulle, Poitiers – Crédit photo C. Vignaud, Musée de la ville de Poitiers
Le pavement mosaïqué présenté aujourd’hui a été mis au jour en plein cœur de l’ancienne capitale du territoire picton, Limonum Pictonum – Poitiers (département de la Vienne, 86), sous l’actuelle place Charles de Gaulle dans les années 70. Le site constituait un important complexe monumental antique, peut-être même un riche quartier d’habitations, alors détruit par les importants terrassements sans qu’aucune surveillance archéologique n’ait pu être réalisée. Des fouilles ont été opérées tardivement, lors de l’extension du chantier, qualifié encore aujourd’hui comme un grand « scandale archéologique ».
Il n’en reste à présent que des vestiges épars et un plan des découvertes établi rapidement, sur lequel il est difficile de s’appuyer pour définir les phases de construction et la nature des édifices. Le pavement sur lequel nous nous attardons a été découvert dans une salle au sud, non loin de l’actuelle église Notre-Dame-la-Grande, sous laquelle une domus abritait un riche pavement mosaïqué polychrome daté du IIe siècle ap. J.-C. Notre mosaïque est néanmoins plus ancienne et a pu être mise en œuvre dans la première moitié du Ier siècle ap. J.-C. Dater une mosaïque n’est pas une tache aisée. Dans notre cas, seul un vestige céramique posé dessus et daté du milieu du Ier siècle ap. J.-C. a été découvert ; il a néanmoins pu être déposé plusieurs décennies après sa confection. Le décor peut également être un moyen d’approche pour donner une date de mise en œuvre, il faut cependant rester vigilant quant à cette méthode d’analyse. Le caractère bichrome du pavement est plutôt caractéristique des premiers siècles de la mosaïque en Italie, mais il persiste dans des contextes plus tardifs. Certains des motifs, que nous décrirons plus loin, sont connus dès le début du Ier siècle ap. J.-C., et d’autres ne semblent être visibles que dans des contextes du IIe siècle ap. J.-C. (comme le méandre de svastikas représenté ici, dont un exemple identique a été mis au jour dans des thermes de la première moitié du IIe siècle à Italica en Espagne, voir pour cela le n°10323 dans la base de données en ligne Henri Stern). En l’absence de contexte stratigraphique certain, la datation du pavement de la place Charles de Gaulle n’est pas aisée à attribuer mais a été envisagée par comparaison avec les autres mosaïques de la ville, dont la plupart sont également bichromes et mises en œuvre dans le courant du Ier siècle ap. J.-C. Signalons par ailleurs que le pavement n’est aujourd’hui pas complet. Le fragment déposé, restauré et aujourd’hui exposé au Musée Sainte-Croix de Poitiers (sous le numéro d’inventaire 2015.0.38) mesure 350 x 250 cm mais ne représenterait que le sixième de la superficie totale. Il demeure néanmoins à ce jour le pavement antique exposé le plus grand et le mieux conservé de Poitiers.
La technique employée est celle de l’opus tessellatum, qui consiste en la mise en œuvre de tesselles principalement en pierre taillées par la main de l’Homme mesurant environ 1 cm de côté dans une préparation de mortier. Dans cette mosaïque en particulier, les tesselles ont des dimensions situées en 0,5 et 0,8 cm, ce qui traduit le grand soin apporté à sa construction. Elle présente un décor géométrique bichrome, avec une particularité que nous souhaitons souligner : tandis que le pourtour présente des motifs à contour noir sur fond blanc, le centre du pavement est constitué d’un décor blanc sur fond noir. À la suite d’une bande de raccord mettant en œuvre des tesselles blanches en rangs obliques, un triple filet blanc et une bande noire font la transition vers un décor composé d’un ensemble de sparterie lâche. Figure ensuite une composition de damiers. Les cases sont chargées d’un carré inscrit en opposition de couleur, faisant apparaître un effet de quadrillage et des sabliers. Le reste du décor est restituable grâce à des fragments redécouverts récemment et au dessin de la mosaïque daté des années 70. Des méandres de svastikas à retour simple et des carrés présentent des lignes composées de deux bandes de cinq rangs de tesselles blanches entre lesquelles se place un triple filet noir. Entre ces contours s’intercalent des carrés blancs sur la pointe juxtaposés. Un carré blanc est enfin inscrit dans les grands carrés.
Aucun travail n’a pu être effectué à propos du mortier de préparation et de la nature des roches employées. Néanmoins, nous pouvons supposer l’utilisation de calcaires blancs de la région comme c’est le cas dans d’autres mosaïques de Poitiers plus ou moins contemporaines qui ont fait l’objet d’analyses pétrographiques. Concernant les tesselles noires, la question est plus complexe puisqu’aucune carrière antique de roche noire n’a pu être à ce jour caractérisée sur le territoire. Les études en laboratoire sur des tesselles de Poitiers ont cependant permis de mettre en lumière l’emploi de calcaires noirs, peut-être locaux, aux côtés de matières schisteuses, parmi lesquelles figure le schiste bitumineux d’Autun, largement mis en œuvre dans les mosaïques de la région d’Autun (Saône-et-Loire, 71) mais également dans des contextes plus lointains. Il est donc possible que ces types de roche aient pu être utilisés au sein du pavement de la place Charles de Gaulle.
Sans nul doute, cette mosaïque n’a pas encore révélé tous ses secrets !
Julie Caron,
Doctorante en Archéologie antique, laboratoire HeRMA, UR 15071 – Université de Poitiers
Pour aller plus loin :
- Sur la mosaïque antique et les décors :
BALMELLE Catherine, BLANCHARD-LEMÉE Michèle, Le décor géométrique de la mosaïque romaine, tome II, Picard, Paris, 2002, 271 p.
BALMELLE Catherine, DARMON Jean-Pierre, La mosaïque dans les Gaules romaines, Édition Picard, Paris, 2017, 359 p.
CARON Julie, Mosaïques en territoire picton (Ier siècle avant J.-C. – IVe siècle après J.-C.). Pré-inventaire et étude des contextes de découverte et des décors, 2 vol., mémoire de master 1, Université de Poitiers, 2016.
CARON Julie, « Les mosaïques du territoire picton à l’époque romaine : études stylistique et technique », Bulletin de liaison et d’information AAPC, 47, 2019, p. 41-54.
CARON Julie, « Mosaïques antiques en Poitou », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, 8 avril 2020 [en ligne].
- Sur le site de la place Charles de Gaulle et le pavement étudié :
BILLY Benoît, « Monument antique – Jardin des droits de l’Homme », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, 1 avril 2020 [en ligne].
NICOLINI Gérard, « Circonscription de Poitou-Charentes », Gallia, XXXIII, 2, 1975, p. 369-384.
NICOLINI Marie-Noëlle, « Les mosaïques romaines de Poitiers et de sa région », dans Art et archéologie de l’Aquitaine Septentrionale, Actes du 111ème Congrès national des sociétés savantes, Poitiers, 1986, Éditions du CTHS, Paris, 1987, p. 25-43.
Fiche du Musée Sainte-Croix de Poitiers (attention, les informations concernant la description des motifs sont fausses)
- Sur les études pétrographiques menées sur les mosaïques de Poitiers :
BILLY Benoît, CARON Julie, LECONTE Sonia, « Pavements et artisanat du Haut-Empire en territoire picton : le site du Jardin des Droits de l’Homme (Poitiers, France) », Bulletin de l’AIEMA, en cours de correction.
CARON Julie, Le noir dans les mosaïques romaines du territoire picton. Analyses stylistique et technique, et approches sur les sources d’approvisionnement en roches, 2 vol., mémoire de master 2, Université de Poitiers, 2017, 174 p.
CARON Julie, « Les mosaïques du Jardin des Droits de l’Homme », Bulletin de liaison et d’information AAPC, 49, 2022, p. 73-84.
DELFERRIÈRE Nicolas, « Nouvelles recherches sur l’emploi du schiste bitumineux dans le décor des édifices de Gaule de l’Est », Aquitania, 36, 2020, p. 195-214.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Julie Caron (12 décembre 2023). Mosaïque de la place Charles de Gaulle – Poitiers (86). Actualités des études anciennes. Consulté le 16 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/tccy