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Le pugiliste des thermes

Pugiliste des thermes – photo Laura Barataud

« C’était le visage d’un boxeur professionnel typique ; un boxeur avec de longues années de ring derrière lui et ayant ainsi développé et magnifié tous les signes distinctifs de la bête de combat. […] Les lèvres informes dessinaient une bouche excessivement dure formant comme une plaie dans son visage. La mâchoire était agressive, brutale, lourde. Les yeux aux mouvements lents et aux paupières lourdes étaient presque inexpressifs sous des sourcils proéminents et broussailleux. Tout bestial fût-il, le trait le plus animal chez lui c’était ses yeux. Des yeux assoupis, comme ceux d’un lion — les yeux d’un animal de combat. Le front fuyant sous des cheveux coupés court qui révélaient toutes les aspérités d’une tête de malfaiteur. Pour compléter le décor : un nez cassé par deux fois, diversement modelé par d’innombrables coups et une oreille en chou-fleur à jamais enflée et déformée jusqu’à atteindre deux fois sa taille originelle […]. »

Comme le disait J.-M. Roubineau dans son ouvrage sur la boxe dans l’Antiquité, la description de Jack London d’un boxeur en fin de carrière dans sa nouvelle Le steak s’applique parfaitement au « pugiliste des thermes », statue en bronze d’un boxeur au repos mesurant 128 cm et conservée au Palazzo Massimo alle Terme à Rome.

Découverte du boxeur assis, Archivio Fotografico Comunale, ACR, Rome

Découvert en mars 1885 lors de fouilles archéologiques menées sur la colline du Quirinal, le pugiliste avait été enterré avec soin, assis sur un chapiteau dorique, à proximité d’une autre statue en bronze incarnant un prince hellénistique. S’il est généralement suggéré que les deux œuvres proviennent des thermes de Constantin situées à proximité, elles pourraient aussi avoir été intentionnellement disposées entre les murs de fondation d’un complexe monumental, qui correspondrait peut-être au sanctuaire de Semo Sancus. Au vu de sa profondeur, ce dépôt rituel aurait pu être effectué au IIe siècle de notre ère et avoir eu pour objectif de marquer symboliquement la construction du bâtiment.

Cet original en bronze, daté de l’époque hellénistique (les avis des spécialistes divergent et s’échelonnent du IVe et le Ier siècle avant J.C.), a été réalisé avec la technique de la fonte à la cire perdue. Les différentes pièces de la statue ont donc été coulées séparément puis assemblées, comme les jambes, le torse, le sexe, les bras et la tête. Souvent attribuée au sculpteur bien connu Lysippe, portraitiste officiel d’Alexandre le Grand, ou de son cercle proche, le boxeur des thermes est l’un des plus beaux témoignages de la pratique du pugilat dans la statuaire antique.

Détail de la partie haute – photo Laura Barataud

Une certaine tristesse se dégage de l’œuvre. Assis et penché vers l’avant, le pugiliste paraît fatigué, épuisé, après l’effort fourni pendant la lutte. Son visage, tourné vers la droite, est tuméfié et semble regarder son adversaire triomphant. Ses nombreuses blessures et cicatrices sont matérialisées par l’usage de cuivre rouge et des plaies issues de son récent combat s’y ajoutent. Le nez est enflé, sans aucun doute fracturé. Les oreilles sont abimées et attestent aussi de la multiplicité des coups reçus par l’athlète au cours de sa carrière. Ici encore, l’utilisation de cuivre rouge pour souligner les blessures témoigne du souci du détail recherché par le sculpteur, en plus du gonflement du pavillon dû aux hématomes successifs qui a probablement entrainé la quasi-surdité de l’athlète. La chevelure et la barbe sont soigneusement travaillées et ordonnées dans un classicisme qui contraste avec l’intensité du combat achevé.

Les bras reposent sur ses cuisses et les poings sont protégés par des gants, des himas, constitués par des bandes de cuir de bœuf enroulées autour du poignet et de l’avant-bras. Un épais anneau de cuir appelé strophion vient enserrer les doigts, et, au milieu de l’avant-bras, un brassard de maintien en laine complète l’équipement. Des traces d’usures, relevées sur le poing gauche et les orteils du pied droit, ont été interprétées comme provenant de frottements répétés et résultant d’un acte de vénération, en raison d’un pouvoir guérisseur attribué à la statue.

Détail des gants

L’œuvre témoigne également de la pratique de l’infibulation chez les sportifs, consistant à replier le pénis sur lui-même à l’aide d’une fine bande de cuir appelée kynodesme (pouvant être traduit par « laisse de chien »). Ce procédé avait pour objectif de garder le sexe discret, d’en éviter les déplacements fortuits, et de garantir une certaine maitrise de son corps.

L’exaltation de la puissance de la masse musculaire du pugiliste est ici combinée au réalisme brutal des ravages occasionnés par les nombreux chocs subits au cours de ses combats, et contraste avec l’idéalité héroïque des athlètes habituellement représentée dans l’Antiquité. Le pathétisme de l’instant choisi reflète le gout des sculpteurs de l’époque hellénistique pour l’individualisation des sujets traités et l’expression des sentiments. C’est l’image d’un boxeur mûr, gravement blessé après son combat, qui subit sa défaite, mettant alors peut-être un terme à sa carrière.

« J’ai secoué le pays, fait palpiter des arènes, mis en pièce mes adversaires. J’ai lu dans les ténèbres, récolté des insultes, des applaudissements forcés. Qui peut me comprendre ? À qui puis-je parler ? L’esprit est malade, il va quitter la surface de la terre, c’est son destin, et je suis las d’être si sérieux. ».

Ce poème a été récité par l’acteur Kevin Spacey en 2019, lors d’une performance artistique réalisée au Palazzo Massimo alle Terme. Inspiré par la statue du pugiliste, son auteur, le poète Gabrielle Tinti, symbolise parfaitement la résilience de l’athlète sur sa carrière sportive qui s’achève, et la mélancolie qui l’accompagne.

Laura Barataud,

Docteure en Sciences Archéologiques – U.M.R Ausonius

Bibliographie :

DECKER Wolgang et THUILLIER Jean-Paul (2004) : Le sport dans l’Antiquité, Picard, Paris.

HEYMANS Elon D. (2013) : “The Bronze Boxer from the Quirinal revisited : a construction-related deposition of sculpture”, BABESCH 88, 229-244.

GASPARRI Carlo et PARIS Rita, dir. (2017) : Palazzo Massimo alle terme : le collezioni, Electa, 115-117.

PEDLEY John Griffiths (1999) : Art et archéologie de la Grèce, Könemann, Cologne, 347.

RIDGWAY, Brunilde Sismondo (2002) : Hellenistic Sculpture III. The styles of 100-31 B.C., University of Wisconsin Press, Madison Wis. – London,

ROUBINEAU Jean-Manuel (2022) : À poings fermés : Une histoire de la boxe antique, PUF, Paris.

Lecture de Kevin Spacey du poème The Boxer de Gabriele Tinti


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Laura Barataud (24 décembre 2023). Le pugiliste des thermes. Actualités des études anciennes. Consulté le 15 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/veg8


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