Feu grégeois, bombes à scorpions & cochons enflammés. La guerre non conventionnelle dans l’Antiquité

Mayor (A.), Feu grégeois, bombes à scorpions & cochons enflammés. La guerre non conventionnelle dans l’Antiquité. – Paris : Nouveau monde éditions, 2024. – 374p. – ISBN : 9782380944808

Crédit image. Première de couverture – Nouveau monde éditions

Dans cet ouvrage, Adrienne Mayor propose aux lecteurs un voyage dans l’univers des armes biologiques et chimiques utilisées par les belligérants dans l’Antiquité. L’autrice prolifique d’ouvrages de vulgarisation scientifique est chercheuse en histoire des sciences et en lettres classiques à l’Université. Cet ouvrage est la traduction française du livre d’Adrienne Mayor, Greek Fire, Poison Arrows & Scorpion Bombs: Biological and Chemical Warfare in the Ancient World, publié vingt ans auparavant en 2003. Dans la préface de la nouvelle édition, rédigée lors de la pandémie de coronavirus, l’autrice revient sur le succès de la première édition qui fut une grande source d’inspiration pour les auteurs de jeux vidéos et les réalisateurs de films.

Dans ce livre, Adrienne Mayor rassemble une impressionnante quantité de sources écrites qui attestent l’existence des armes dites non conventionnelles dès l’Antiquité. Ces armes de guerre sont ainsi loin d’être des inventions modernes. Bien que réprouvées par les auteurs antiques, elles furent ainsi utilisées sur les champs de bataille afin de remporter la victoire décisive. Dans l’Antiquité transparaissent déjà les dilemmes moraux liés à leur usage. Ces armes ajoutaient autrefois et ajoutent encore aujourd’hui aux horreurs de la guerre. Elles intensifient l’effroi psychologique aux effets dévastateurs dans les rangs d’une armée combattante. Leur avantage indéniable est qu’elles peuvent amener les adversaires à capituler sans combattre.

L’ouvrage est divisé en sept chapitres qui abordent divers thèmes : l’utilisation de miel toxique de rhododendron ou de flèches enduites de venin de serpent ou du poison de plantes mortelles, le catapultage de ruches ou de pots d’argile remplis de scorpions vivants, cochons enflammés lâchés contre des éléphants de guerre, l’empoisonnement des puits, la diffusion volontaire de la peste, la création de nuages de poussière caustique, la propulsion de flammes inextinguibles… Fruit d’une recherche de grande ampleur, cet ouvrage nous fait découvrir la créativité sans limites des belligérants dans l’Antiquité. À la fin de l’ouvrage, le lecteur trouvera les notes et une riche bibliographie. L’édition française contient également un cahier central avec des images en couleurs.

Héraclès joua un rôle majeur dans l’invention des premières armes biologiques de l’Antiquité, puisqu’en trempant ses flèches dans le venin de l’hydre de Lerne, il en fit des armes redoutables contre ses adversaires. Il est d’ailleurs intéressant de faire remarquer que le mot « toxique » tire son origine du mot grec τόξον qui signifie « arc ». Le venin des animaux ou bien les plantes vénéneuses furent autant de moyens de susciter l’effroi chez les adversaires. Adrienne Mayor présente le cas du miel de rhododendron qui rendit fous les combattants des Dix-Mille et tuèrent certains d’eux. Les contaminations de l’eau et de la nourriture étaient redoutablement efficaces comme stratégie militaire tant contre les populations que contre les armées en campagne. Les animaux jouèrent aussi un rôle décisif sur le champ de bataille. Les combattants lancèrent ainsi des pots en argile contenant, comme nous le supposons désormais, des scorpions ou bien « d’autres insectes volants empoisonnés » (Hérodien, 3.9.3-8). Ce fut le cas à Hatra où les habitants se protégèrent ainsi des attaques romaines. Les marins d’Hannibal catapultèrent également des pots en argile contenant des serpents venimeux sur les ponts des navires ennemis du roi Eumène de Pergame lors d’une bataille navale décisive. Les combattants utilisèrent non seulement des scorpions ou des serpents venimeux, mais aussi des nids d’abeilles, des souris, des rats porteurs de peste, des chiens etc. L’emploi des animaux était ainsi monnaie courante. L’exemple le plus célère reste naturellement les éléphants de guerre qui furent largement employés par les Séleucides et les Ptolémées devenant des armes royales à l’époque hellénistique. Les récits des expéditions de Pyrrhus et d’Hannibal qui fit traverser les Alpes à ses éléphants rendirent ces animaux célèbres. Sur le champ de bataille ils étaient cependant tellement imprévisibles qu’ils devinrent bientôt vite encombrants. Selon la légende, c’est Alexandre le Grand qui aurait trouvé un moyen sûr de contrer ses mastodontes : il aurait employé des cochons pour les faire fuir. Les cris stridents des cochons et leur déplacement imprévisible déroutaient les éléphants. Les Mégariens utilisèrent une technique pour le moins fascinante et peu connue : assiégés par les troupes d’Antigone II Gonatas, les Mégariens auraient enduit des cochons de résine de pin, y mirent le feu et les auraient lâchés sur le champ de bataille ce qui eut pour effet d’effrayer les éléphants d’Antigone II Gonatas qui se seraient enfuit dans toutes les directions. Le dernier chapitre est consacré au feu et aux produits incendiaires dont l’emploi joua également un rôle décisif durant les batailles navales ou bien les sièges de cités. L’arc et les flèches enflammées furent le moyen le plus couramment utilisé, les miroirs d’Archimède pour enflammer à distance les voiles des navires suscitèrent la fascination et les navires en feu s’avérèrent de bons moyens pour transporter le feu. Mais le procédé qui fascine peut-être le plus est le feu grégeois, prédécesseur du napalm utilisé notamment durant la guerre du Vietnam contre les populations vietnamiennes. La composition exacte du produit et la conception du système ne sont pas exactement connus et suscitent encore aujourd´hui de nombreux débats. Il fut utilisé pour la première fois en 673 ap. J.-C. pour mettre fin au siège de Constantinople.

La lecture de cet ouvrage est à vivement conseiller même si parfois les conclusions sont un peu hâtives et les raccourcis historiques un peu faciles. L’approche croisée entre histoire antique et moderne est cependant très intéressante, quoique parfois un peu déconcertante.  

Isabelle Warin,

Docteure en archéologie classique