Ma bourse à l’Ecole française de Rome

Rome est, pour tout (jeune) chercheur en archéologie, histoire ou histoire de l’art, une destination incontournable. En effet, rares sont les villes où chaque coin de rue est un véritable musée à ciel ouvert – étant doctorante en Sciences Archéologiques, faut-il préciser que les vestiges ont ma préférence ? ; rares sont les villes à posséder cette ambiance si particulière. En cela, Rome représente une étape marquante dans un parcours universitaire et professionnel.

• ÊTRE BOURSIER À L’ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME

L’un des objectifs de mes recherches est de proposer une synthèse complète des fora des capitales de cités des provinces de Gaule romaine : l’Aquitaine, la Narbonnaise, la Lyonnaise et la Belgique du I^er s. a.C. au V^e s. p.C. Ce travail, sous la direction d’Alain Bouet (Université Bordeaux Montaigne – Ausonius UMR 5607) traite cet ensemble architectural à la fois fonctionnel et symbolique essentiel pour les cadres institutionnel, politique, économique et religieux d’une cité. Les fora présentent une grande diversité mais il existe une certaine récurrence structurelle et fonctionnelle. C’est cette séquence architecturale élaborée et réfléchie rassemblant tous les éléments de la vie civique et cultuelle qu’il s’agit d’étudier de manière approfondie : son origine, sa composition et son évolution. Cette réflexion sur l’existence d’un “modèle” architectural de forum diffusé au sein de l’Empire est au cœur de mes problématiques de recherche. L’ordonnancement des édifices, leurs proportions, leurs dimensions, leur nature, mais aussi le programme de décoration sont autant de possibilités exprimant des degrés d’adaptation différents.

Paradoxalement, malgré leurs rôles fondamentaux, le degré de connaissance et la qualité des données de ces ensembles monumentaux sont en réalité très variables. Les fora intégralement connus et conservés sont rares dans le monde romain, les exemples italiens sont plus nombreux et mieux documentés que les centres civiques de Gaule. L’accumulation de données pour un échantillon de trois fora italiens définis – Rome, Ostie et Pompéi – mettrait en lumière des éléments de comparaison pertinents avec les exemples de mon corpus d’étude : leur conception dès leur origine, l’organisation des différents espaces qui les composent ainsi que leurs évolutions respectives en appréhendant les raisons de ces modifications et leurs conséquences. Ces informations permettraient également de mener une réflexion sur les modalités de diffusion du forum dans les provinces italiennes, puis une comparaison de ce phénomène avec celui observé au sein des provinces de Gaule romaine. Être face à des fora italiens amènerait enfin la possibilité d’une analyse plus fine des variantes architecturales, enrichies ou simplifiées. De ce point de vue, la multiplication des visites de centres monumentaux constituait une étape essentielle : un court séjour en Italie s’imposait donc.

Fondée en 1875, l’École française de Rome (EFR) a pour mission la recherche et la formation à la recherche en sciences humaines et sociales de la Préhistoire à aujourd’hui. Elle accueille ainsi chaque année près d’un millier de jeunes chercheurs boursiers, enseignants-chercheurs, professeurs d’université et chercheurs du CNRS dont les travaux nécessitent un séjour en Italie et dont les thématiques s’accordent aux axes de recherche de l’EFR. L’institution propose différents dispositifs d’accueil. Mon profil et les problématiques développées dans mon dossier de candidature m’ont permis de postuler à la bourse de l’EFR attribuée aux doctorants en histoire, archéologie et sciences sociales, qui m’a été accordée – après sélection – pour le mois d’avril 2024.

• UN CADRE DE TRAVAIL STIMULANT

Vue sur la place Navone depuis l’EFR – Cliché Célia Sensacq

Un des aspects qu’il ne faut certainement pas négliger lorsqu’il est question d’un séjour à l’École française de Rome est notre cadre de vie et de travail. Cet environnement stimulant permet de développer une autre approche de ses thématiques de recherche et de réfléchir à une échelle différente. Située au cœur de la capitale, place Navone, la résidence de l’EFR bénéficie d’une position centrale qui est particulièrement appréciable. Quelques minutes la séparent du Palais Farnèse qui abrite la bibliothèque de l’institution ainsi que des bureaux attitrés pour chaque boursier et chercheur invité pour toute la durée de leur séjour.

Espace de travail attitré au Palais Farnèse – Cliché Célia Sensacq

Les membres de l’EFR participent activement à la vie scientifique de l’École en organisant de nombreux évènements, parmi lesquels des séminaires, des colloques internationaux, le “5 à 7 de la Crypta”… dont les sujets abordés reflètent la variété des recherches menées en son sein. Cette actualité permet les rencontres entre boursiers, post-doctorants et membres de l’EFR et du Centre Jean Bérard (CJB) de Naples – un organisme de recherche archéologique et de formation accueillant de jeunes chercheurs, enseignants-chercheurs, professeurs ou autres personnalités scientifiques –, issus d’universités françaises et/ou étrangères. Cela constitue indéniablement l’une des richesses de cette expérience. Les échanges nés de ces rencontres sont tout aussi importants, ils mettent en lumière des thématiques de recherche pluridisciplinaires, des méthodes de travail particulières et des ressources diverses, ce qui ouvre inévitablement à de nouvelles réflexions.

Outre cette dimension communautaire stimulante, mon séjour à l’EFR m’a permis de me rendre sur des sites archéologiques majeurs. Les visites successives – voire répétées – du forum Romanum et des fora impériaux de l’Urbs, ainsi que du forum d’Ostie, ont été l’occasion de porter un regard renouvelé sur ces ensembles et leurs spécificités. Dans cette lignée, j’ai également séjourné quelques jours au CJB pour l’étude du troisième site remarquablement conservé pris en compte dans mon programme de travail : Pompéi. Circuler au sein de ces espaces m’a permis de développer de nouveaux éléments de réflexion qui seront approfondis au cours de cette année. Être confrontée à ces fora italiens m’a apporté une meilleure visibilité et lisibilité des vestiges conservés in situ, en étudiant notamment leur environnement proche, les interactions entre ces vastes espaces plurifonctionels, mais aussi la proximité des structures abritant d’autres fonctions essentielles à la cité.

De gauche à droite : Vue panoramique du forum de Rome depuis le Capitole / Le forum (premier plan) et le marché de Trajan (arrière plan) / Vue panoramique du forum d’Ostie – Clichés Célia Sensacq

Ces visites successives se sont doublées d’un volet de recherches approfondies au sein des bibliothèques du Palais Farnèse à Rome et Georges Vallet du CBJ à Naples. En dehors des des ouvrages concernant les fora de Rome, Ostie et Pompéi, j’ai eu la possibilité d’approfondir certains aspects indispensables de ma thèse. Cette large bibliographie n’est pas toujours facilement accessible en France, voire disponible, mais elle est pourtant fondamentale : documents généraux sur l’architecture et sur la civilisation romaine, plans de structures et d’ensembles, rapports d’opérations archéologiques, monographies consacrées à des édifices précis du forum, synthèses sur des centres civiques italiens, archives… Plus de 210 000 volumes sont recensés au Palais Farnèse : c’est à ce jour la plus grande bibliothèque de recherche française à l’étranger.

Célia Sensacq,

Doctorante en Sciences Archéologiques – U.M.R Ausonius