La culture politique romaine. De la fin de la République au IIIe siècle apr. J.-C.

Gangloff A., La culture politique romaine. De la fin de la République au IIIe siècle apr. J.-C. – Paris : Armand Colin, 2024. – 320 p. – ISBN : 9782200636517

Crédit image. Première de couverture – Armand Colin

Parmi les spécialistes de l’histoire culturelle et politique du monde romain, on compte Anne Gangloff, professeure d’histoire romaine à l’université de Rennes 2. Après de nombreux travaux sur des questions de l’idéologie impériale, la vie culturelle dans l’empire romain (notamment dans sa partie hellénophone), elle présente un manuel sur « La culture politique romaine. De la fin de la République au IIIe siècle apr. J.-C. », fruit de ces travaux et investigations de recherche, mais aussi, comme elle le précise dans l’avant-propos, de ces activités pédagogiques universitaires.

Même si le domaine du politique n’a jamais totalement disparu des préoccupations des historiens de Rome, ce champ de la recherche historique a connu toutefois un nouveau regain à partir des années 1980/90 et depuis l’essor de l’histoire culturelle et du communicative turn. L’autrice revient par ailleurs sur ces jalons importants de l’historiographie contemporaine sur le domaine du politique à Rome dans son introduction (p. 7-17) où elle définit également les notions-clé de son livre et les concepts issus des sciences politiques comme les notions d’idéologie ou de culture politique.

Le terme de « culture politique » a surtout nourri les réflexions sur la République romaine tardive. Ainsi, on s’intéresse au fonctionnement de la res publica dans son ensemble, à la place et au rôle des différents groupes sociaux (élites, plèbe …). A. Gangloff cite un certain nombre de travaux importants et novateurs dans ce domaine dont certains auteurs sont plus difficilement accessibles pour un public francophone. Cela vaut pour la monographie de Christian Meier (Res publica amissa. Eine Studie zu Verfassung und Geschichte der späten römischen Republik, Stuttgart), publiée pour la première fois en 1966 (4^e édition 2017), mais jamais traduite, qui a impulsé une perception nouvelle de la « crise » de la République romaine et reste le point de départ d’une approche renouvelée de cette période outre-Rhin (mais aussi au-delà). Par ailleurs, aux noms d’historiens allemands indiqués par A. Gangloff on rajoutera bien volontiers celui de Martin Jehne.[1] Un enjeu majeur à propos de la « culture politique » de la République tardive est celui de la participation politique et de la communication au sein d’un groupe et entre les différents groupes sociaux.

Dans la mesure où les règles du jeu politique changent fondamentalement avec l’instauration du régime impérial à Rome, la notion de « culture politique » ne peut s’appliquer de la même manière et est par ailleurs beaucoup moins utilisée par les historiens. Le centre d’intérêt se porte essentiellement sur la construction et la consolidation du consensus derrière le princeps, par exemple à travers le rituel, la fête, le geste, mais aussi à travers l’image et les concepts politiques tels que celui du « bon prince ».

C’est donc cet ensemble de notions et thèmes qui est parcouru dans ce manuel par A. Gangloff. Il s’agit pour elle de s’interroger sur la manière dont les habitants de l’Empire appréhendent le pouvoir, sur leur degré de connaissance du politique et de participation, voire adhésion au pouvoir.

Une originalité et un intérêt particulier du livre d’A. Gangloff résident sans aucun doute dans le fait d’avoir dépassé les limites chronologiques traditionnelles en réunissant à la fois la République romaine tardive et la période du Haut Empire jusqu’au IIIe siècle (pour l’essentiel jusqu’à la fin de la période des Sévères) : De la juxtaposition des deux systèmes politiques, des lignes de continuité pourraient se dégager à travers certaines pratiques, une possibilité suggérée par ailleurs par la notion-même de la res publica restituta d’Auguste. Mais cette piste n’est pas exploitée par l’autrice et il faut le préciser d’emblée : la période de la République sert de fond de décor pour développer surtout les aspects concernant la culture politique sous le Haut-Empire romain. Cela s’observe dès le chapitre 1 (« Cultures politiques aux deux derniers siècles de la République et sous le Haut-Empire : les principales différences » : p. 19-77) où l’examen rapide des acteurs, médias, rituels et lieux dans chaque système permet de percevoir les différences entre les deux cultures politiques. S’ajoute ici également le domaine de la violence si caractéristique de la vie politique à Rome sous la République, alors que ce phénomène ne serait présent sous forme de « spectre de la guerre civile » pour l’époque impériale et l’autrice se limite dans ce paragraphe à présenter brièvement les célébrations impériales de la paix restituée. L’opposition entre violence républicaine et paix impériale nous semble un peu maladroite d’autant plus que le dernier chapitre du manuel met bien en exergue les différentes formes de violence qui existaient dans l’Empire romain.

Les chapitres suivants traitent différents aspects de la « culture politique » essentiellement sous l’Empire. Le chapitre 2 (p. 79-117) réunit des informations sur des domaines très divers (éducation et formation, calendrier des fêtes et le thème des spectacles, rumeurs et opinions populaires), mais permet au lecteur d’acquérir ou de rafraîchir rapidement ses connaissances sur les thèmes abordés en les saisissant comme éléments de la « culture politique » romaine. Les trois chapitres suivants, plus étoffés, sont construits de manière plus homogène et forment le cœur du manuel. Le chapitre 3 (p. 119-168) traite de la figure de l’empereur. On apprécie à ce propos que l’autrice intègre une bibliographie en langue allemande notamment sur les aspects d’autoreprésentation et sur le corps de l’empereur. Elle rend ainsi accessible quelques conclusions de leurs travaux aux lecteurs francophones. Quant au chapitre 4 (« Communication, pratiques et pensées politiques », p. 169-209), on doit souligner la qualité et l’intérêt du chapitre sur « la constitution d’une pensée politique gréco-romaine » qui donne un aperçu concis sur la question. Enfin, le dernier chapitre 5 (p. 211-285) aborde les questions de loyauté, popularité et résistances face au pouvoir impérial. Le monde provincial y est intégré davantage. On constate que, contrairement à la propagation de la paix dans l’idéologie impériale (p. 62-63) et même si l’intégration du monde provincial est globalement réussie (cf. p. 253-256), l’Empire est aussi caractérisé par des tensions et des conflits.

Le livre traite ainsi les thèmes et aspects essentiels qui peuvent se résumer sous la notion de « culture politique ». Ce terme fait le lien entre les différents chapitres, sans que ne se dégage forcément une trame narrative continue ce qui peut par ailleurs aussi expliquer l’absence d’une conclusion générale dans ce manuel. Ce procédé présente l’avantage de rendre les chapitres (qui restent courts) abordables de manière isolée.

Malgré un cadre chronologique large du IIe siècle a.C. au IIIe siècle p.C., le manuel traite surtout de l’époque impériale. Il s’adresse à un public étudiant et remplit à ce titre entièrement sa promesse de manuel « universitaire ». Il reste aussi très abordable pour un plus large public qui souhaite actualiser ses connaissances sur l’histoire romaine. Le texte est fluide et la lecture facile, les concepts et notions-clé sont expliqués rapidement, les extraits de sources sont traduits. Les notes, ajoutées en fin du livre, se limitent à renvoyer à des articles ou ouvrages plus spécifiques, que l’on retrouve dans la bibliographie. Des images, plans, schémas et extraits de sources antiques illustrent le propos synthétique.

Ce manuel offre donc une bonne première entrée dans la « culture politique romaine » surtout de l’époque impériale. Le lecteur ayant pris goût au sujet trouvera dans la bibliographie à la fin du livre de nombreuses pistes pour aller plus loin.

Karin Sion-Jenkis,

Maître de conférences en histoire romaine – Université Bordeaux Montaigne

[1] De nombreux travaux en langue allemande se consacrent à la politische Kultur de la République romaine. Martin Jehne en donne un aperçu ici : « La culture politique de la République romaine dans la recherche allemande », Trivium [En ligne], 31 | 2020, mis en ligne le 30 juin 2020, consulté le 22 août 2024. URL : http://journals.openedition.org/trivium/7242 ; DOI : https://doi.org/10.4000/trivium.7242.