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Quand les Grecs anciens faisaient du sport

FARNOUX (A.), Quand les Grecs anciens faisaient du sport – Paris : éditions Hazan, 2024 – 180 p. – ISBN : 9782754113878.


Première de couverture © éditions Hazan / Musée du Louvre

L’édition 2024 des Jeux olympiques à Paris fut fertile en productions prétendant raviver un héritage antique qui repose parfois sur des illusions ou des erreurs. Cet ouvrage prend appui sur l’exposition « L’Olympisme moderne. Une invention moderne, un héritage antique » qui, à partir des collections du Louvre, dévoilait nombre de fausses interprétations. L’on appréciera d’emblée la variété et surtout la qualité des reproductions (vases, statues, figurines, relief funéraire, inscriptions, objets spécifiquement athlétiques…) ; des erreurs dans la numérotation des figures sont d’autant plus regrettables, bien qu’il ne soit pas besoin d’une longue course pour atteindre le but (ex. p. 44 fig. 45 > 46 ; fig. 29 et 30 > 30 et 31 ; 34 > 35 ; p. 52 fig. 38 > 36 ; p. 92 fig. 76 > 75 ; p. 95 fig. 77 > 76 ; p. 110 fig. 91 et 93 > 90, 92, 93). Un catalogue d’exposition de belle facture donc ? Sans nul doute, mais la lecture révèle bien plus : une mine d’informations et un panorama très complet sur la pratique du sport chez les Grecs. La taille modeste de l’ouvrage s’avère être celle d’un véritable manuel, dont l’ambition est d’informer, de rectifier, d’expliquer ce qui peut paraître étrange à nos yeux ; l’analyse est étayée par des références constantes aux sources iconographiques reproduites, combinées avec des citations d’auteurs anciens, et le lecteur profane comme celui qui a des connaissances sur l’Antiquité y gagneront des éclairages très précis sur les réalités du sport antique.

Car si le terme « sport », inconnu des anciens, est utilisé dans le titre, ce n’est pas par simple accommodement avec le lexique moderne, mais parce qu’il permet de couvrir les deux volets de la pratique physique : « entraînement » (gymnastique) et « compétition » (agonistique). Une mise au point sur les termes dès le premier chapitre (« Le sport des Grecs : entre héritage et trahison ») permet de mesurer la singularité et l’ampleur du phénomène dans la culture grecque. De fait, ce n’est pas la moindre des qualités de l’ouvrage que d’ouvrir, bien au-delà des concours, le champ de l’analyse pour apprécier la place du sport au cœur de la cité.

Comme il est de bonne méthode, le deuxième chapitre (« À la recherche du sport perdu ») présente les sources sur lesquelles prend appui la réflexion. Des sources textuelles d’abord, avec des productions en lien direct avec la pratique sportive (odes triomphales, Traité de gymnastique de Philostrate, papyri et inscriptions), ou des témoignages venus d’auteurs de genres divers (philosophes, historiens, « auteurs de fiction »). Signaler les difficultés rencontrées pour décoder les emplois métaphoriques est judicieux, mais il eût été bon de noter là les perspectives critiques ou satiriques qui peuvent brouiller la réalité, même si l’auteur y consacre le dernier chapitre. Du côté des sources iconographiques, nous trouvons bien sûr les vases, qui représentent la majorité des illustrations, mais aussi les sculptures ; les fouilles ont également mis au jour des objets caractéristiques des exercices physiques comme les strigiles ; l’apport de l’archéologie expérimentale, dont la chronophotographie était une des premières tentatives, a enfin permis de comprendre certains gestes.

Le troisième chapitre (« De l’entraînement avant toute chose ») nous fait pénétrer dans les lieux de vie que sont les gymnases, où la pratique physique occupe une place centrale dans l’éducation et la formation militaire – d’où un complément lexical (palestre, gymnase / pédotribe, gymnaste) –, aux côtés d’autres formations du citoyen : qui gèrent ces lieux ? À quoi ces espaces sont-ils destinés (entraînement militaire, entretien de la santé, rencontres et discussions) ? C’est ainsi dans un cadre politique que se trouve inscrite la pratique sportive, dont les hommes-citoyens sont les acteurs, bien qu’une participation féminine soit dévoilée, dans des manifestations toutefois réservées (Brauron), ou des cités particulières (Sparte). Le chapitre révèle par ailleurs des détails très spécifiques, qui ne laissent pas quelquefois d’étonner les modernes, et nourrissent même les débats chez les spécialistes du sport antique : pratiques alimentaires (anankofagia – et non anangofagia p. 50 –, qui n’est malencontreusement pas repris dans le glossaire) ; nudité, qui est judicieusement signalée comme une convention iconographique de la représentation du corps masculin, et coexiste en pratique avec l’usage d’un pagne (périzôma) ou d’un suspensoir (kynodesmos), l’appui sur les témoignages exclusifs du Louvre ne permettant qu’une référence à la représentation atypique d’un nain, fig. 41 ; onction d’huile – ce qui permet de décrypter sur les décors de vases strigile et aryballe, la lecture d’une scène à l’entraînement (p. 66-67) en donnant un bon exemple. Dans la même veine, se trouvent expliqués l’usage des haltères, d’équipements ou d’exercices d’entraînement (corycos, skiamachia pour le pugilat, traduit comme souvent par « boxe », mais l’origine du nom antique de ce combat aux poings aurait pu être rappelée, d’autant que « pugiliste » figure dans le glossaire), l’utilisation de la musique… Une somme de précisions d’ordre technique extrêmement utiles pour comprendre la pratique des exercices et mieux lire les images.

Vient ensuite le temps des concours (« Un, deux, trois, champions ! »), avec un exposé qui marque les différences avec l’époque moderne, notamment le contexte religieux, et décline les différents types de compétition, qui conditionnent l’origine des participants et la nature des récompenses : panhellénique, avec les quatre grands jeux de la période, mais aussi une extension vers ceux de Délos et les concours isolympiques, « national », dont les Panathénées et les Théseia, ce qui élargit l’angle de vue, donnant une idée de l’extension spatiale des manifestations, et de la variété du programme dans chacun des lieux. Les conditions du spectacle font également l’objet d’attention : rôle des juges, aménagements pour les spectateurs, conditions de départ de course, absence de mesures, tirage au sort, procédure en cas de mort d’un concurrent, tricheries, charmes et malédictions. Une foule de détails qui donnent vie aux concours antiques et soulignent leur singularité, dévoilant des traits inattendus et peu souvent mentionnés.

Le cinquième et dernier chapitre est dédié aux vainqueurs, à leur consécration, mais aussi aux regards critiques posés sur eux (« Victoire et dérision »). Du côté des signes de gloire, l’on trouvera mentionnés encore une fois des éléments permettant de mieux lire les images : couronne, bandelette, phyllobolia, récompenses matérielles (avec distinction des concours stéphanites et chrématiques) ; l’amplitude de la célébration, la gloire rejaillissant sur la cité d’origine, est soulignée. Sont judicieusement signalés des usages antiques qui vont à l’encontre du principe moderne « l’essentiel est de participer » : victoire obtenue sans combat (akoniti), proclamation du propriétaire du char ou du cheval, et non de l’aurige ou du jockey. Mais à la célébrité que gagnent les vainqueurs, devenus pour certains des athlètes de légende, il est bien rappelé que certains opposent des critiques, dans une perspective militaire, intellectuelle ou médicale. Qu’en est-il du côté des images ? Si, sur les vases, le motif athlétique est un type de décor usuel, du côté de la statuaire, la représentation de l’athlète vainqueur est majoritaire. Sans doute existe-t-il des effigies sous forme de caricatures, en particulier des figurines de terre cuite, et le fait étant moins connu, il est intéressant de s’y arrêter. Dire toutefois que « les athlètes fournissent […] un répertoire inépuisable de caricatures en particulier aux fabricants de figurines en terre cuite » (p. 110) force le trait, surtout quand est consacré à ces statuettes le plus long des dossiers (« des athlètes aux pieds d’argile », p. 126-131) ; car cette catégorie des « grotesques » dans laquelle on compte des athlètes, n’est produite qu’à partir de l’époque hellénistique, dans des ateliers d’Asie Mineure et tout particulièrement de Smyrne. Bien que la précision en soit apportée, l’exposé adopté risque de ne pas donner la juste mesure des proportions entre représentation caricaturale ou honorifique, la dernière l’emportant largement.

L’on appréciera toutefois ces développements qui, tels des fiches insérées sur deux pages dans le corps du texte, peuvent traiter de points majeurs – aussi auraient-ils leur place dans le sommaire – : éphédrismos / jeux de balle / à l’entraînement / boxe, lutte et course de chars / Zeus, le dieu du stade olympique – nous trouvons là le programme des jeux olympiques – / amphores panathénaïques.

Le glossaire final est très bien fait. Le volume de la bibliographie dite « sélective » est réduit, ce qui pourrait s’entendre si l’on n’y regrettait des absents, par exemple les travaux de G. Biard, J.-Y. Strasser ou V. Azoulay sur les statues et inscriptions honorifiques, sujets importants dans l’exposé – sans commune mesure avec les papyri magiques dont l’ouvrage de référence est pourtant répertorié. Par ailleurs, une liste avec datation des auteurs cités n’aurait pas été superflue. Car si les figures sont assorties d’identifications très soignées, les citations sont pour beaucoup appelées à illustrer le propos sans contextualisation, mis à part des témoignages essentiels comme ceux de Pindare, Philostrate, des médecins (par exemple p. 51) etc., couvrant des époques et des genres littéraires très divers (Homère, Aristophane, Platon, Xénophon, Aristote, Athénée, Pausanias, Lucien, Anthologie palatine…). La taille de l’ouvrage ne permettait sans doute pas de faire plus sur les sources textuelles, qui n’étaient d’ailleurs pas la base d’un projet qui tient toutes ses promesses. Sous un format compact, offrir une synthèse alliant esthétisme et science était un défi, qui se voit pleinement couronné de succès.

Valérie Visa

Université Toulouse-Jean Jaurès


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Valérie Visa (18 novembre 2024). Quand les Grecs anciens faisaient du sport. Actualités des études anciennes. Consulté le 8 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12p7p


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