08 – La Chute de l’Empire Romain (1964)

La Chute de l’Empire Romain, réalisé par Anthony Mann (1964) – 188 minutes // titre original : The Fall of the Roman Empire // Lucilla : Sophia Loren ; Livius : Stephen Boyd.

© Anthony Mann – The Rank Organisation, Samuel Bronston Productions.

Trois siècles d’histoire en 188 minutes

Le second siècle touche à sa fin et le règne de Marc Aurèle s’achève. En cette année 180 de l’ère chrétienne, l’empereur-philosophe se sait condamné par un mal implacable. Lucide sur lui-même, il l’est aussi sur ses proches : sa fille Lucilla, dont il doit sacrifier le bonheur en la mariant avec le roi d’Arménie, son fils Commode, qui ne se plaît qu’aux jeux de l’amphithéâtre, son meilleur général, Livius, le seul digne de lui succéder. Avec Marc Aurèle meurt un grand dessein : faire des barbares vaincus des citoyens romains et dresser ainsi, aux frontières de l’Empire, un cordon de sécurité contre les invasions.

Certes, l’historien ne trouvera rien à redire au début de La Chute de l’Empire Romain (Anthony Mann, 1964). Tout au plus s’étonnera-t-il de l’importance donnée au rôle de Lucilla et, surtout, de la présence de Livius, inventé pour les besoins du romanesque cinématographique : il faut bien qu’un héros, si possible noble et courageux, s’oppose à un mauvais empereur, en l’occurrence Commode. Le bon fils de cœur contre le mauvais fils de sang…

Mais la suite dément cette impression de vérité. Sans doute Commode fut-il cruel et débauché, c’était la règle sur le trône impérial et à peine souffrit-elle quelques exceptions. Mais le massacre des barbares romanisés dont il est, dans le film, l’instigateur, relève plus d’une convention chère au péplum, qui se doit de montrer des scènes de cruauté et de tortures, que de l’authenticité historique. Commode est mort en 192, assassiné, et non pas de la façon dont le montre le film – fort spectaculairement d’ailleurs. Après lui ce sera l’éphémère règne de Pertinax (qui apparaît fugitivement dans le film) et celui, florissant, de l’africain Septime Sévère (jusqu’en 211).

Mais le plus grave, si l’on peut dire, est ailleurs : après près de trois heures de projection, le spectateur n’a toujours pas compris les causes de la chute de l’Empire. Et pour cause : en 192, l’Empire est bien loin de sa fin ! Bien plus, même si quelques signes inquiétants se font sentir çà et là, il est encore au sommet de sa puissance. Il faut donc tordre le cou à un mythe tenace, celui de la « décadence » et, par là, de la « chute » de l’Empire romain. Image d’Épinal véhiculée par deux tendances contradictoires : celle qui voit, depuis la Révolution française, une Rome idéale dans une République romaine d’opérette et celle, bien antérieure, des Pères de l’Église qui auraient bien voulu que l’âge du Christ coïncidât avec le glas de Rome. En fait, les III^e et IV^e siècles seront des siècles de mutation et non de déclin. Et si l’on admet que l’Empire romain d’Occident cesse formellement d’exister après la prise de Ravenne par Odoacre en 476, il perdure, sous d’autres formes, dans l’Empire byzantin.

La Chute de l’Empire Romain n’en demeure pas moins un magnifique film, servi par d’excellents scénaristes (Ben Barzman, Philip Yordan), des acteurs inspirés (Stephen Boyd, Alec Guiness, Christopher Plummer, James Mason, Sophia Loren), une éclatante partition musicale de Dimitri Tiomkin, des décors gigantesques de Venerio Colasanti et John Moore (sur 27 hectares, près de Madrid). Mais surtout du génie d’Anthony Mann, qui n’avait auparavant fait que deux brèves incursions dans le domaine de l’Antiquité : il avait dirigé les scènes de l’incendie de Rome dans le Quo Vadis de Mervyn Le Roy (1951) et filmé la scène d’exposition de Spartacus, dont Stanley Kubrick continua le tournage (1961).

Malgré de spectaculaires scènes d’action, le film est paradoxalement intéressant par ce que la critique a boudé : la lenteur de l’action, la longueur des dialogues, les références implicites à l’actualité de l’époque du tournage, le début d’un fragile dégel de la Guerre froide, bref par ce temps suspendu qui marque si bien les fins de règne.

Et assure, plus d’un demi-siècle plus tard, la pérennité d’une œuvre. À mes yeux un chef d’œuvre.

Claude Aziza