10 – Legends of tomorrow (2016-2022)

Legends of tomorrow, série réalisée par Andrew Kreisberg (2016-2022) – 7 saisons, 110 épisodes – 42 minutes.

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Saison 3, épisode 1 : Un César décalé

“– What does ‘Magna Hispania’ mean?”

“– It means Caesar went to conquer the known world; and the unknown world.”

I. 1. Legends of Tomorrow (ou DC’Legends of Tomorrow) est une série américaine en sept saisons. Elle fait partie de l’Arrowverse, univers de fiction commun à plusieurs séries (Arrow, The Flash, Vixen, Black Lightning, Supergirl…) et basé sur des personnages de DC Comics. Elle relate les péripéties d’un groupe d’aventuriers (autoproclamés « Légendes »), qui ont été réunis originellement par un Maître du Temps et qui, sur leur vaisseau, le Waverider, voyagent dans le temps.

À la fin de la deuxième saison (2016-2017), les Légendes, dans leur effort pour défaire leurs ennemis, créent une faille temporelle, déclenchant une série d’anachronismes qu’ils s’attachent à réparer durant la saison 3 (2017-2018, 18 épisodes).

L’épisode 1 de cette troisième saison (03×01) – le 30^e de la série, le 287^e de l’univers Arrowverse –, diffusé le 10 octobre 2017, s’intitule Aruba-Con ; son titre français, La Surprise de César, fait de toute évidence référence au film animé de 1985, Astérix et la Surprise de César. Le conquérant, qui y partage la vedette avec les Légendes, reparaîtra dans l’épisode 18 de la même saison.

2. Au début de l’épisode 03×01, les Légendes, pour avoir brisé le continuum temporel, se sont vu confisquer leur vaisseau ; la gestion du temps est confiée à une agence secrète, le Bureau Temporel. Mick, l’une des Légendes, en séjour à Aruba, se retrouve confronté à une anomalie temporelle : César, alors qu’il s’apprêtait à franchir le Rubicon, a été transporté de la Gaule Cisalpine en janvier 49 a.C. aux sables d’Aruba en 2017 p.C. Mick le capture et prend contact avec les autres Légendes. Pendant que celles-ci alertent le Bureau Temporel, Mick, occupé à manger une salade (César ?), se laisse surprendre par son prisonnier. Ce dernier s’enfuit et se fond dans un groupe de membres d’une fraternité déguisés en Romains. Persuadés que Mick a confondu l’un de ceux-ci avec César, le Bureau Temporel ne le prend pas au sérieux. Pourtant l’identification par Nate (l’historien des Légendes) d’un denier romain en possession de Mick rend crédit à sa version. Les Légendes volent le Waverider et retournent à Aruba où Sara, la capitaine du vaisseau, vient aisément à bout de César. Au moment de le réintégrer dans son époque, Nate se laisse toutefois subtiliser par lui son livre d’histoire, The Rise of Rome, dans lequel est apportée la trahison de Brutus et de Cassius. Revenus au vaisseau, les Légendes demandent à retourner à leur époque, mais les États-Unis n’y existent pas ; le pays s’appelle Magna Hesperia. Car, instruit par le livre de Nate, le futur dictateur a pu empêcher son assassinat et a poursuivi jusqu’au bout son dessein de conquête universelle, lequel s’est maintenu à travers les siècles. Le Bureau Temporel veut se charger de corriger cette aberration temporelle, mais ses agents tombent dans un piège. Les Légendes attaquent alors les Romains et récupèrent le livre. Un flasher enlève à César et à ses légionnaires la mémoire de ces événements. Tout rentre dans l’ordre.

II. 1. Le thème de la conquête domine l’évocation de César dans l’épisode. Ses premiers mots sont : « Je suis Caius Julius César, je suis venu conquérir le monde » et, peu après, « Qu’importe la terre où je me trouve, ce n’est qu’une question de temps avant que j’y plante ma bannière ». Prenant la fraternité pour une légion, il prononce (en anglais !) une harangue belliqueuse, se terminant par : « Pour Mars, pour Rome, la mort ou la gloire. » Rencontrant Sara après avoir été vaincu, il lui dit qu’avec une telle Amazone à ses côtés, il aurait tôt fait de soumettre le monde… Magna Hesperia est le fruit de cette mégalomanie de conquêtes ; s’il n’avait été assassiné, Rome aurait installé un imperium sine fine, à la fois dans l’espace et dans le temps. La carte (fig. 1) porte plusieurs noms de villes et de lieux : Aliquando urbis, Baptismata, Civitas Angeli [Los Angeles ?], Dedi Montem, Donec Aqua, Dua Flumina, Flos, Flumen Magnum, Medianae, Novus, Portus Teram, Prigus Arx, Procidens Aqua, San Gallia [San Francisco ?], Sola Stella, Vere Civitatis. Reste que, dans l’épisode, les fières légions destinées à assujettir le monde sont dispersées en un clin d’œil.

2. L’épisode joue des stéréotypes qui se sont développés autour de César. Dans la première scène où il apparaît, après que celui-ci s’est présenté, Mick lui réplique : « Je me disais bien que je t’avais déjà vu… à Las Vegas. » Le ton est donné. C’est autour de son image d’Épinal que va être abordé le personnage. Sont successivement évoqués : la capture par les pirates jusqu’à leur crucifixion ; la conquête de la Gaule ; le passage du Rubicon et la guerre avec Pompée ; les Ides de Mars. Le célèbre Veni, uidi, uici est bien entendu détourné par les Légendes qui s’écrient en chœur après la défaite de César face à Sara : « Nous sommes venus, nous avons vu, César l’a eu dans le c… » (We came, we saw, we kicker Caesar’s ass). La fameuse 3^e personne ne manque pas à l’appel (« César n’altère pas l’Histoire, il l’écrit »). Par ailleurs, le général romain est incarné ici par Simon Merrells et dans l’épisode 03×18, il l’est par son frère Jason Merrells. Le premier a été Licinius Crassus dans la série Spartacus: War of the Damned, le second Ponce Pilate dans la série Jesus: His Life. Leur apparence dans les Legends of Tomorrow est traditionnelle de l’image du dictateur dans les séries qu’il s’agisse de l’âge, de la taille, de la coiffure, de l’habillement (paludamentum, armure), si bien qu’on pourrait les confondre avec les Césars des séries Rome et Xena: Warrior Princess par exemple[1]. Une semblable exploitation du personnage phantasmé par les Modernes est à l’œuvre dans l’autre épisode de la saison 3 (03×06) consacré à un personnage antique, Helen’s Hunt, dans lequel Hélène de Troie se retrouve à Hollywood sur le tournage d’un film sur la guerre de Troie. Néanmoins un épisode de la vie du conquérant paraît davantage instrumentalisé au sein de l’intrigue : alors que Sara hésite à le livrer au Bureau Temporel, son échange avec celui-ci et l’admiration qu’elle éprouve pour l’inébranlable confiance qu’il place en sa destinée la conduisent à prendre l’initiative de sa réintégration dans l’ère antique ; quelques mots avec César l’ont ainsi amenée à franchir en quelque sorte son Rubicon et à rompre avec son obédience au Bureau Temporel.

3. Comme dans Astérix, l’anachronisme est l’effet comique qui opère le plus ; on en prendra comme exemple César en pied et en cap face aux Légendes habillés en plagistes. Cela s’accompagne d’une démythification du conquérant. Il se fait battre par Sara en deux temps trois mouvements dans un affrontement qui tient du combat ninja. Dans l’épisode 03×18, César, qui s’est fait laver le cerveau par le démon Mallus et affronte les Légendes aux côtés de celui-ci, est tout aussi vite mis hors de combat. Mick l’appelle « Jules », Sara l’appelle « J.C. », avec une désinvolture qui s’étend à leur connaissance de l’Antiquité : l’une des Légendes confond Mars et Arès et la seule phrase que l’une d’entre elles prononce en latin est approximative (Dormi strictum amicus = « Bonne nuit mon pote »). Un certain sens tactique est néanmoins concédé à ce personnage, comme l’illustre le piège dans lequel il attire le Bureau Temporel.

4. Legends of Tomorrow affiche une sensibilité à la diversité. C’est le seul show de l’Arrowverse représentant une équipe dont le leader est une femme, bisexuelle affichée. Celle-ci, Sara Lance, est un personnage propre à l’univers TV et n’existe pas dans DC Comics. Franchement badass, elle n’est dotée d’aucun super-pouvoir ; sa force vient de son entraînement et de ses capacités au combat. Elle ne fait ainsi qu’une bouchée de César lors de leur combat singulier. L’épisode souligne bien le dépit de ce dernier (« Je préfère m’empaler sur vos glaives que me soumettre à une femme » ou encore « – [Sara] Cela fait mal à ce point d’être vaincu par une femme ? – [César] Oui »). On comparera avec le traitement qui est fait d’Hélène ; à la fin de l’épisode 03×06, celle-ci, lasse d’être l’objet du désir des hommes jusqu’à en devenir la cause de guerres, est conduite à Themiscyra, l’île de Wonder Woman et des Amazones, où elle apprend à devenir une guerrière. On la retrouve, épanouie au combat, lors de l’épisode final de la série (03×18), lorsqu’elle vient épauler les Légendes contre le démon Mallus, le même démon dont César est devenu un lieutenant décérébré.

III. Au fil des saisons, Legends of Tomorrow a évolué vers un style plus fantaisiste, dans lequel la série a trouvé son équilibre. L’épisode 03×01 qui inaugure la troisième saison va dans ce sens. Il en résulte une image amusante de César, certes attendue au niveau de sa représentation physique, mais qui est à contre-courant en ce qui concerne plusieurs traits constitutifs de sa « légende » et qui est mise au service d’un propos discrètement féministe. Il m’a aussi plu de l’évoquer en écho à un texte précédent que j’ai écrit sur le même personnage dans la science-fiction, à propos du roman Legions of Hell.

Oliviers Devillers

Université Bordeaux Montaigne

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[1] Pour ces deux séries, voir respectivement les billets du 6 et du 15 décembre 2024 de notre calendrier de l’Avent [ndlr].

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Bibliographie

Devillers, « César l’Américain. À propos de C.J. Cherryh, Legions of Hell », Anabases, 12, 2010, 201-207

McInnis, Dual Viewing Behaviour: Gender Issues and Fandom Culture, U. of Alberta, 2018.

Mercier et F. Bièvre-Perrin, éd., Jules César, construction d’une image de l’Antiquité à nos jours. Actes du Colloque de Besançon 20 et 21 octobre 2022, Besançon, 2024.

 

 

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