11 – Ben-Hur (1959)
Ben-Hur, réalisé par William Wyler (1959) – 214 minutes // dans le rôle-titre : Charlton Heston.
Nul besoin d’être voyant extra-lucide pour prédire que d’ici la fin du mois de décembre, une chaîne de télévision va diffuser pour la énième fois le film Ben-Hur de William Wyler, datant de 1959. En effet, ce péplum, vieux pourtant de soixante-cinq ans, est devenu avec le temps l’un des incontournables télévisuels des fêtes de fin d’année – de même que la très kitch série Sissi des années 1950 avec Romy Schneider dans le rôle-titre ou encore Le Père Noël est une ordure – que l’on nous ressert à chaque Noël… ou presque, telle la dinde aux marrons.
Ce n’est pourtant pas la seule version cinématographique du célèbre roman car, faut-il le rappeler encore, avant d’être une superproduction américaine connue dans le monde entier, Ben-Hur est d’abord et avant tout une œuvre littéraire de l’auteur américain Lewis Wallace (1827-1905). La vie de ce personnage pourrait à elle seule faire l’objet d’un biopic cinématographique : originaire de l’Indiana, avocat de formation, Lewis Wallace est aussi un militaire qui prend part à la guerre de Sécession. Il a également été gouverneur du Nouveau-Mexique. Peintre, musicien et écrivain en plus de cela, il publie en 1880 ce qui est resté son plus célèbre roman, Ben-Hur, qui relate l’histoire de Judas Ben-Hur. Ce prince de Judée au Ier siècle de notre ère et contemporain de Jésus se retrouve dépouillé de ses biens et condamné injustement aux galères par son ami d’enfance Messala. Il ne lui reste plus alors qu’à se battre pour retrouver sa liberté et assouvir sa soif de vengeance. Quelles qu’en soient les raisons, le succès est immédiat et ce livre est très vite traduit en différentes langues.
La première adaptation cinématographique de ce roman date de 1907-1908, puis vient celle de 1925 réalisée par Fred Niblo qui a certes été éclipsée par la suite par celle de 1959. Toutefois, la version de 1925, un film muet en noir et blanc, avait déjà marqué les esprits dans l’entre-deux-guerres, en premier lieu par son budget : 5 millions de dollars, dont 500 000 rien que pour la fameuse scène de la course de chars dans un cirque de 650 000 m2 reconstitué pour l’occasion, avec près de 10 000 figurants. Outre ces chiffres qui donnent le tournis, le recours à des caméras fixées sous les chars a permis des prises de vue encore inédites à cette époque. Précisons aussi que le personnage de Ben-Hur est incarné par Ramon Novarro, l’un des sex-symbols du Hollywood des années 1920. Parmi les assistants du réalisateur Fred Niblo figure aussi un certain William Wyler qui, plus de trente ans plus tard, a donc réalisé sa propre version cinématographique de Ben-Hur, la plus connue, la dernière de 2016 par Timur Bekmambetov n’ayant pas réussi de toute évidence à la faire oublier.
Comme dans le film de 1925, la séquence la plus marquante reste celle de la course de chars, cette fois-ci en couleur et avec le son. Le tournage de cette scène a nécessité des pistes de 1 000 mètres de long, des statues colossales de 30 mètres de haut, entre 6 000 et 15 000 figurants, avec encore une fois des prises de vue époustouflantes grâce à des caméras fixées sous les chars. Force est de constater que ce passage a fini par faire oublier tout le reste du film, alors qu’il ne dure pourtant que seize minutes environ (sur plus de trois heures de film[1] !). Rappelons que dans la version de 1925, qui est plus courte (2h23), la course de chars ne dure que neuf minutes environ[2]. La puissance de cette séquence réside là encore dans les techniques de prise de vue utilisées. Le spectateur, depuis son fauteuil de cinéma, suit la course au plus près des cochers et se retrouve emporté dans la ronde infernale des chars sur la piste et la fureur de la compétition. Cette dizaine de minutes intenses a sans aucun doute concouru au succès du film.
En tout cas, cette scène, qui apparaît à bien des égards comme une prouesse technique du 7e art en 1959 comme déjà en 1925, a eu une influence considérable sur le 9e art dans la seconde moitié du XXe siècle. En effet, et pour ne citer que deux exemples, Jacques Martin, l’auteur de la bande dessinée Alix, a reconnu lors d’un entretien enregistré en 1979 qu’il avait vu le Ben-Hur de 1925[3] et que la séquence de la course de chars l’avait marqué, comme le prouvent d’ailleurs le premier tome d’Alix, Alix l’intrépide[4], ainsi que le Tombeau étrusque[5], quoique ce dernier album semble avoir été davantage influencé par la version cinématographique de 1959. Quant aux auteurs de la série Murena, le scénariste Jean Dufaux et le dessinateur Philippe Delaby, ils ont admis tous les deux dans plusieurs interviews s’être inspirés de plusieurs péplums, dont le Ben-Hur de William Wyler[6]. Il suffit d’ailleurs de regarder le tome 5 de la série, la Déesse Noire[7], pour s’en convaincre.
Certes, l’historien de l’Antiquité éprouvera peut-être quelques scrupules à voir ou revoir Ben-Hur, tant l’architecture et le décor du cirque, les tenues des cochers et les chars en particulier paraissent fantaisistes au regard des sources historiques… Il n’en est pas moins vrai que la version de 1959 en technicolor demeure délicieusement kitch. Et même si le film risque de paraître à certains un peu long (3h32 !) et sans doute aussi un peu lourd à digérer – telle la bûche du réveillon – ne vous faites pas prier et reprenez bien encore un peu de Ben-Hur !
Sylvain Forichon
Institut Ausonius (UMR 5607, CNRS-Université Bordeaux Montaigne)
PLH-CRATA (EA 4601, Université Toulouse-Jean Jaurès)
[1] https://www.youtube.com/watch?v=1LVp4tvl5O4
[2] https://www.youtube.com/watch?v=Q_bxHsHVj20
[3] Marie, V. (2015) : « La bande dessinée au service d’un imaginaire créateur d’histoire(s) : l’exemple du Tombeau Étrusque (Alix) de Jacques Martin », in : Gallego, J. (éd.) : La Bande dessinée historique. Premier cycle : l’Antiquité, Pau, 153-160, p. 156.
[4] Alix 1. – Alix l’Intrépide (Casterman, 1956). Scénario et dessin : Jacques Martin.
[5] Alix 8. – Le Tombeau étrusque (Casterman, 1963). Scénario et dessin : Jacques Martin.
[6] Cf. l’article « Ben-Hur », dans : Aziza, C., Dufaux, J. et P. Delaby, éd. (2017) : Dictionnaire Murena, Bruxelles, p. 26.
[7] Murena. Chapitre cinquième – La Déesse noire (Dargaud, 2006). Scénario : Jean Dufaux. Dessin : Philippe Delaby. Couleurs : Jérémy Petiqueux.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Sylvain Forichon (11 décembre 2024). 11 – Ben-Hur (1959). Actualités des études anciennes. Consulté le 10 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12w4m