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19 – 300 (2006)

300, réalisé par Zack Snyder (2006) – 115 minutes // titre original anglais : 300 // dans le rôle principal : Gerard Butler.


© Zack Snyder – Legendary Pictures, Virtual Studios, Cruel and Unusual Films.

Pourquoi s’attarder sur 300, un film aux apparences nanardesques ? Sans doute parce qu’il est bien plus que sa réputation ne le laisse paraître de prime abord. Avec Gladiator (2000)[1] de Ridley Scott, on peut même considérer qu’il est devenu l’un des deux grands piliers du néo-péplum contemporain, en tout cas dans l’imaginaire collectif, fournissant des codes nouveaux à un genre qui fait de nouveau florès. À la rencontre de plusieurs influences qui dépassent largement le seul péplum, rien n’était pourtant gagné pour cette adaptation éponyme du comics de Frank Miller (1998), sortie au cinéma en 2006 et réalisée par Zack Snyder.

300 se situe dans la même veine que la série graphique Sin City (1991-2000, adaptée au cinéma en 2005 et 2014) propre à la plume de Frank Miller et l’adaptation reprend le jeu de couleurs proposé par Lynn Varley. À l’origine vu comme une relecture de la bande dessinée historique, le film est qualifié de péplum, tout en flirtant avec l’heroic-fantasy. Le scénario se cristallise notamment entre l’idéal collectif du citoyen-soldat et la figure individuelle du héros, ancien comme contemporain.

Premier point fort du film de notre point de vue, la narration. Dilios (Aristodemos) narre, à la veille de la bataille de Platée (479 av. J.-C.), l’histoire de Léonidas et de la bataille qui l’a vu mourir un an plus tôt, ce afin de motiver ses troupes en évoquant l’héroïque destinée du roi de Sparte et de ses hommes. De cette approche mémorielle, et non historique, naît une grande analepse subjective qui va nous transporter à Sparte, puis aux Thermopyles. Avec plusieurs jeux d’énonciation, le spectateur voit le transport de l’enjeu présent vers le passé, proche pour les soldats grecs, lointain pour le spectateur. Le récit de 300, empreint d’ironie, de variations de points de vue, de jeux de stéréotypes et de renversements, joue en effet sur l’ambiguïté du « nous » spartiate qui résonne comme un « nous » américain ou du moins occidental. On retrouvera cet intérêt pour la narration dans le Hercule (2014) de Brett Ratner avec Dwayne Johnson, une autre adaptation d’un roman graphique éponyme paru en 2008.

Autre point fort, la fidélité esthétique à l’œuvre originale confère au film une force graphique impressionnante, doublée d’une bande sonore construite avec subtilité. Les pleines pages de Frank Miller se transforment en tableaux magnifiées, fixes, zoomés ou en slow motion, sous la patte de Zack Snyder, intercalant en de nombreux endroits clefs du film des tableaux épiques d’une belle esthétique, à la fois classique et contemporaine. La technique de l’incrustation n’a, par ailleurs, pas trop souffert du temps qui passe. La sonorisation joue un rôle primordial, mettant en avant la force du dialogue et de l’oralité. En effet, la musique n’apparaissant qu’en de brefs endroits pour mieux magnifier les tableaux ou moments guerriers. D’ailleurs, cette dernière ne reprend pas les codes sonores habituels du péplum, mais s’en détache en partie, proposant ici un grand chœur de voix masculines a capella, ailleurs un fond de guitare électrique saturé, à cheval sur plusieurs temporalités historiques et plusieurs traditions cinématographiques.

Enfin, il faut bien dire que le casting de 300 donne un avant-goût de grands rôles à venir pour une génération d’acteurs, que ce soit dans le péplum, l’heroic-fantasy ou la fantasy. Ainsi Gerard Butler (Léonidas), la mâchoire en avant et le torse gainé, est révélé par le film et on le retrouvera par exemple dans Gods of Egypt (2016). La reine Gorgô, mise en valeur dans le film bien que presque absente du comics, est interprétée par Lena Headey, à nouveau reine implacable dans la série Game of Thrones (2011-2019). Notons par ailleurs dans le club des spartiates Vincent Regan, qu’on avait déjà vu dans Troie (2004), qu’on retrouve en Marc Antoine dans la série Empire (2005), mais aussi dans Le Choc des Titans (2010), ainsi que Michael Fassbender, futur Magnéto dans le cycle X-Men (2011, 2014, 2016, 2019). Côté perse, le messager perse Peter Mensah sera un spectaculaire Œnomaüs dans Spartacus (2010-2012) et Rodrigo Santoro (Xerxès) ne sera autre que le Christ dans Ben-Hur (2016). On est bien à la croisée des chemins. In fine, si l’on reproche souvent au film cet excès de muscles, il est pourtant bien raisonnable par rapport aux bodybuilders des péplums des générations précédentes, tout comme par rapport au comics où les hommes sont complètement nus !

Comme le scénario de Gladiator, l’adaptation de 300 était un pari risqué, un mouvement qui n’allait pas de soi, mais qui a conduit à forger une référence pour le néo-péplum et un incontournable de la culture populaire. Loin d’être récupéré uniquement par les prétendus défenseurs de la civilisation occidentale, car pensé en partie comme un miroir de la géopolitique contemporaine, ce film a donné nombre de détournements, de mêmes et de parodies[2] qui ont forgé sa renommée : le matériau réflexif fait son œuvre et le public ne peut pas prendre au pied de la lettre une production qui comporte hypocrisie, ironie et introspection. Si le sujet est en apparence très testostéroné et déjà vu (La Bataille des Thermopyles de 1962), le film innove sur plusieurs points et contribue à fournir de nouveau canons aux péplums du XXIe siècle. En revanche, on sera bien en peine de conseiller la suite proposée par Noam Murro, 300 : la naissance d’un empire (2014), sauf aux amateurs de navets !

Arnaud Saura-Ziegelmeyer

Institut Catholique de Toulouse

Membre de l’UR CERES et membre associé de l’EA PLH-ARTEMIS


[1] Voir le billet n°12 de ce calendrier !

[2] Regarder une œuvre ou un genre à travers ses détournements et ses caricatures est d’ailleurs toujours très instructif. Dans le cas de 300, on peut citer les exemples de Spartatouille (Meet the Spartans) de Jason Friedberg et Aaron Seltzer en 2008 ou encore de 300 wesh de Mozinor, publié en 2009.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Arnaud Saura-Ziegelmeyer (19 décembre 2024). 19 – 300 (2006). Actualités des études anciennes. Consulté le 19 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12ymo


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