Jules César à la conquête de la Gaule
BLIN (O.), BERGIER (V.), Jules César à la conquête de la Gaule, Inrap / Actes Sud, 2023. ISBN : 978-2-330-17819-2.
Jules César à la conquête de la Gaule, paru en 2023 et coédité par Actes Sud Jeunesse et l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (Inrap), se présente sous la forme d’un bel ouvrage de 70 pages, illustré en quadrichromie et clairement destiné au jeune public. Le résumé de quatrième de couverture affiche d’emblée l’intention de lui faire revivre « un épisode marquant de l’histoire antique », découvrir « la vie quotidienne des Romains et des Gaulois » et par ce biais, retracer « l’origine de la Gaule romaine à la base de notre culture moderne ».
De fait, les principaux épisodes de la Guerre des Gaules y sont résumés avec clarté et pédagogie – au risque de susciter quelques vocations d’historiens et de latinistes ! Cultures gauloise et romaine y font l’objet d’une présentation équilibrée, sans aucun lien de subordination de la première à la seconde. De la couverture aux dernières pages, le lecteur est plongé dans un univers coloré et attrayant peuplé de villes, de hameaux et de fermes, qui soutient la comparaison avec les civilisations méditerranéennes et s’efforce (partiellement, comme on le verra plus loin) de rompre avec la vision misérabiliste des manuels scolaires de la IIIe République. À tous ces points de vue, l’ouvrage tient parfaitement ses promesses et il est toujours inconfortable, pour un collègue chargé de sa recension, de devoir sacrifier à l’exercice pédant qui consiste à en pointer les inévitables défauts.
Ses textes sont issus de la plume d’Olivier Blin, archéologue de terrain expérimenté, ingénieur d’étude à l’Inrap spécialisé dans la période romaine en Gaule. Rédigé avec rigueur et concision, dans un style sobre mais efficace, il n’évite pas certains truismes ou approximations qui surprendront surtout les spécialistes du sujet. On passera sur l’évocation d’un César « acclamé empereur par le sénat en 44 avant notre ère » (p. 69), qui signe la dictature perpétuelle d’un certain confusionnisme historique. Le choix de faire démarrer son « tour de Gaule » (p. 38) par Lugdunum, qui n’est pas mentionnée dans le texte des Commentaires et n’a probablement jamais été visitée par leur auteur, peut être vu comme un hommage aux hypothèses du grand historien de la Gaule Camille Jullian. Il est affirmé en conclusion (p. 69) que la conquête des Gaules n’a été dictée que par les ambitions personnelles de César et ne répondait à aucune menace tangible. C’est faire peu de cas du problème existentiel posé par les incursions germaniques qui affectent l’espace gaulois (et italien) depuis la fin du IIe siècle avant notre ère, présentées par ailleurs (p. 13) comme la cause du projet d’émigration des Helvètes qui marque le début du conflit. Ces derniers sont par ailleurs décrits comme « un ensemble de peuples installés dans les Alpes à l’emplacement de la Suisse actuelle », alors qu’ils constituaient une cité homogène occupant le seul plateau suisse, bien distincte des peuples alpins. Il est affirmé, à l’inverse, que des Celtes venus d’Europe centrale ont fondé en Turquie actuelle « un état, la Galatie » – en réalité quatre royaumes indépendants. Tout aussi approximative est la description d’une Aquitaine « habitée par les Ibères » (p. 4), raccourci discutable du rapprochement ethnique et linguistique opéré par Strabon d’Amasée (Geogr. IV, 1, 1), ou d’une Provincia amputée de son épithète (transalpine).
Certains chapitres consacrés à la culture matérielle souffrent des mêmes raccourcis. Ainsi, il semble peu pertinent de comparer les millions d’amphores acheminées en Gaule à la fin de l’âge du Fer et la présence « d’épices importées de Rome », qui manquent à l’appel dans les couches archéologiques contemporaines. L’incontournable « tonneau gaulois », lui aussi inexistant dans les fouilles et dont l’origine étrusque (ou rhète) ne fait plus débat, est mentionné parmi d’autres « inventions » indument prêtées aux Gaulois comme la charrue ou le moulin à blé (p. 9). La localisation de l’oppidum de Lutèce sur l’île de la Cité (p. 51), hommage plus ou moins conscient à la couverture réalisée par Albert Uderzo pour la Serpe d’Or, reprend une hypothèse rendue caduque, notamment par les fouilles de l’Inrap.
Il en va de même pour certains choix iconographiques, dont on peut douter qu’ils aient été prescrits par l’auteur des textes. Tel celui qui consiste à illustrer l’artisanat des Gaulois protohistoriques par une fibule pénannulaire, produite au Moyen Âge dans les îles britanniques, ou leurs ressources alimentaires par une figurine de… sanglier, espèce dont l’archéozoologie a démontré depuis longtemps qu’elle n’était pas consommée par les Gaulois. La figure de Vercingétorix illustrée (p. 47) par une reproduction de la statue érigée en 1865 à Alésia par Aimé Millet, avec son équipement daté de l’âge du Bronze, n’est guère mieux adaptée et aurait mérité un commentaire dénonçant ses anachronismes. Le regard accroche, en fin d’ouvrage (p. 59), sur une autre image d’Épinal montrant Vercingétorix jetant ses armes aux pieds de César, tout droit tirée des vignettes d’Astérix – elles-mêmes inspirées du fameux tableau de Lionel Royer daté de 1899 et conservé au Musée Crozatier du Puy-en-Velay – dont Christian Goudineau a démontré depuis longtemps qu’elle est pure invention.
On l’aura compris, c’est surtout du point de vue de ses illustrations que l’ouvrage risque fort de ne pas trouver grâce aux yeux des connaisseurs de la période. Leur auteur, Vincent Bergier, qui a illustré d’autres ouvrages de la collection « À petits pas » d’Actes Sud Junior, se distingue sur la forme par sa maîtrise graphique privilégiant une ligne épurée et chatoyante. Elle sacrifie volontairement à un certain schématisme, malheureusement inadapté lorsqu’il s’agit de traduire les données archéologiques issues des fouilles. Les cartes, les décors et surtout les notices détaillant les équipements romains ou gaulois se fondent sur une documentation et un état des recherches en grande partie obsolète. Dans le détail, la presque totalité des illustrations est émaillée de contresens et d’anachronismes dont on se doit de dresser la liste (non exhaustive).
La tenue du légionnaire illustré (p. 18), avec son glaive court, son bouclier rectangulaire, son tablier de lanières et sa cuirasse segmentée de bandes métalliques, sont autant d’attributs anachroniques que les péplums hollywoodiens les moins rigoureux ont délaissé depuis longtemps – au profit de la cotte de mailles, du scutum ovale, du casque à calotte lisse et du glaive long attestés dans les tombes et sur les sites de bataille de cette période. Il en va de même pour les camps légionnaires (p. 22) dont le plan quadrangulaire, plus tardif, ne correspond pas à celui révélé par les recherches archéologiques menées à Alésia ou Gergovie. Tout aussi sont les casques gaulois de type Berru, à bouton sommital (p. 28, 33, 42) et même à cornes (p. 32), qui ne correspondent pas aux modèles en usage durant la guerre des Gaules, pourtant correctement décrit et illustré par ailleurs (p. 35). Le rempart de l’oppidum gaulois est hérissé de pièges à la manière des ouvrages romains, mais dépourvu de son fossé défensif. L’omniprésence des arbres qui décorent cartes et paysages conforte l’image de cette Gaule « chevelue », dont les analyses palynologiques ont révélé qu’elle correspond à un mythe, contredit par les nombreux indices d’une surexploitation des campagnes à cette époque. Si l’habitat urbain est représenté avec justesse, à défaut de précision (p. 7, 51), les campagnes restent parsemées çà et là de huttes circulaires (p. 8, 31) aux allures africaines.
En quoi tous ces détails, objectera-t-on, intéresseraient-ils un jeune lecteur invité à découvrir une période dont il ignore souvent jusqu’à l’existence ? Poser la question revient à en donner la réponse, dictée par l’exigence de crédibilité et d’authenticité inhérentes à toute démarche pédagogique. S’appuyer sur les clichés colportés par les auteurs antiques et les manuels scolaires, comme le font avec talent les albums d’Astérix depuis les années 1950, revêt un réel intérêt au plan historiographique autant qu’humoristique. Mais ceux-ci n’ont guère leur place dans un ouvrage de vulgarisation scientifique édité en 2023, qui se propose justement de les opposer aux réalités du terrain. Si le texte remplit partiellement cet objectif, une collaboration plus étroite entre rédacteur et illustrateur aurait sans doute permis d’améliorer son contenu visuel.
Si la simplification est évidemment de mise, s’agissant d’un ouvrage destiné à la jeunesse ou aux novices, force est de constater que ses illustrations ne sont pas à la hauteur du propos. Ce décalage avait déjà été observé à la lecture de deux précédents ouvrages destinés au même lectorat et réalisés en collaboration avec l’Inrap[1]. Cette institution vingtenaire, dont les missions de diffusion auprès du grand public sont rappelées en dernière page, peut aujourd’hui se prévaloir d’une moisson de données qui ne sont pas toutes issues de l’archéologie préventive, mais méritent assurément d’être portées à sa connaissance. L’ensemble de la communauté archéologique est en droit d’attendre qu’à l’avenir, elles lui soient restituées plus rigoureusement, sans déroger pour autant aux contraintes du genre.
Matthieu Poux
[1] Les Gaulois à petits pas (Patrick Maguer, Marion Puech, Actes Sud Junior/Inrap, 2010), Les Gaulois à l’œil nu (CNRS édition, 2021, textes de Dominique Garcia, illustrés par Jeremy Perrodeau).
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Matthieu Poux (6 janvier 2025). Jules César à la conquête de la Gaule. Actualités des études anciennes. Consulté le 12 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13094