24 – La Vie de Brian (1979)
La vie de Brian, réalisé par les Monty Python – Terry Jones (1979) – 92 minutes // titre original : Monty Python’s Life of Brian // dans le rôle-titre : Graham Chapman.
24 décembre. Alors que les sapins brillent de leurs feux plastiques dans les chaumières… Quelque part à Bethléem, en l’an zéro de notre ère, deux enfants naissent dans la paille et la pauvreté.
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Jugé blasphématoire (ses réalisateurs préfèrent le terme « hérétique »), dans tous les cas satyrique, le film présente la vie de Brian Cohen, pauvre hère qui – dans cette histoire – a le malheur de naître le même jour que Jésus-Christ, auréolé de lumière dans l’étable voisine. Une double représentation de la Nativité, qui remet somme toute un peu de réalisme social dans le mythe christique : Marie et Joseph sont aussi pauvres que les autres Juifs de leur communauté. L’erreur originelle des Rois Mages venus rendre visite à l’enfant béni détermine le destin de Brian, étrangement lié et antithétique à celui du Prophète. Trente-trois ans plus tard, Jésus de Nazareth rassemble les foules tandis que Brian vit avec sa mère et se fait marcher dessus, autant par la matrone (et non la madone) que par les gens qui croisent son chemin.
Nous nous situons donc en l’an 33 apr. J-.C., sous le règne de Tibère. Si l’on sait que les tensions judéo-romaines existent bel et bien à cette époque, il semble qu’elles ne soient ici qu’un prétexte pour incarner d’autres formes de domination politique et idéologique. J’en veux pour preuve les allusions hitlériennes lorsque les soldats romains se saluent, qui représentent dès lors une autre armée, contre d’autres Juifs, ou bien toutes les armées du monde à travers l’Histoire et leur assujettissement à des dictateurs. Pour les décrédibiliser, les personnages cuirassés sont aussi cruels qu’ils sont bêtes, en attestent les bouffonneries de nombreuses scènes.
Il va de soi que Brian hait les Romains, qui représentent l’oppression exercée par le pouvoir impérial sur les pauvres. Alors qu’il travaille à l’amphithéâtre comme vendeur de snacks, haut lieu de la romanité s’il en est, il rencontre puis rejoint les rangs d’une organisation « terroriste », du moins « extrémiste », le Front Populaire de Judée. Entre actes de résistance ratés et chasse à l’homme comique dans les rues crasseuses de Bethléem, Brian s’attire tout à fait par hasard le fanatisme du peuple, prêt à boire les paroles du premier venu tant qu’elles lui sont inintelligibles, et ce malgré ses protestations. Quelques péripéties et une nuit d’amour plus tard (un brève répit), il est crucifié en martyr de la cause juive, cloué par une longue suite de quiproquos. Brian, un anti-héros malgré lui.
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Voilà pour l’intrigue.
Intéressons-nous maintenant à sa réception, en commençant par la communication autour de l’œuvre. Déjà, l’absence de rouge dans l’affiche détonne. Repartez en arrière dans ce calendrier : du rouge pour l’Empire victorieux, du rouge pour l’amour, du rouge pour la guerre1… Souvent, la mention de l’Empire s’accompagne de teintes rubicondes. Ici, on leur préfère un titre doré, massif et brillant, qui flotte dans l’espace étoilé, sorte de météorite en pleine chute. On rappelle que le premier volet de Star Wars (épisode IV) est sorti deux ans plus tôt, en 1977. Ce visuel nous dit une première chose : il ne s’agit pas d’un film sur l’Empire romain. On relève toutefois la couleur jaune, qu’on a pu associer au genre du péplum. La typographie du titre, elle aussi, pourrait être un écho à l’affiche du Ben-Hur de 1959. Une affiche pour détourner les codes au service d’un nouveau récit ? Un péplum galactique ? Péplum oui, car nous retrouvons bien la destinée individuelle du « juste » qui se mêle à un événement historique plus grand que lui, nonobstant la farce déployée par ses réalisateurs.
Le générique donne également des indices : des éléments de l’architecture antique (inscriptions lapidaires, colonnes, autel, statues, etc.) s’effondrent – la chute de l’Empire n’est pourtant pas prévu avant quatre siècles – et quelques références bibliques apparaissent, elles aussi tournées en dérision. Le spectateur peut d’ores et déjà deviner le ton général moqueur. À sa sortie, le film est d’ailleurs interdit pendant plusieurs années en Irlande et en Norvège. Le producteur initial lui-même, à la lecture du script, se retire sans crier gare et on doit à George Harrison les fonds nécessaires à la production du film, si l’on en croit la page Wikipédia de l’œuvre.
Les six membres des Monty Python ont pour habitude, tel un comique de répétition, de se répartir l’ensemble des rôles (sauf pour les scènes de foule). Ainsi, l’acteur qui incarne Brian est aussi Ponce Pilate, le gouverneur romain de Judée, et de nombreux autres personnages de second plan. Le spectateur voit double, voire triple : la hiérarchie des personnages, les classes sociales et les genres se mélangent, les frontières se brouillent. Dans le même registre, une mise en abyme provoque toujours chez moi l’hilarité : pendant la scène de lapidation, la mère – jouée par un acteur masculin – se travestit en homme pour assister au spectacle, interdit à la gente féminine. Tous les autres « hommes » présents dans l’assemblée sont en fait des femmes, figurées aussi par des hommes… Les Monty Python se moquent ainsi des codes et se positionnent même en véritables précurseurs de leur temps, avec par exemple des manifestations de discours inclusif, pas vraiment d’actualité en 1979, puis avec la discussion sur le changement de genre dans les gradins de l’amphithéâtre. Un désir énoncé par l’un des camarades du Front Populaire de Judée, qui souhaite devenir Loretta, tout de suite intégré et accepté par le reste de la bande. Peut-être le seul sujet sur lequel ils n’ont pas besoin de tergiverser !
Tout cela n’est pas sans rappeler Le Forum en folie, (R. Lester, 1966), billet n° 17 de ce calendrier, par le travestissement d’acteurs masculins et cet humour décapant d’une part, et par une représentation dégradée et poisseuse de l’Empire romain d’autre part. C’est une vision du monde avec les yeux de la plèbe, bien que Le Forum en folie soit une comédie musicale et poursuive des enjeux scénaristiques et une mise en scène différents.
D’autres scènes de ce film sont mythiques, comme celle du cours de latin ou encore la séquence hallucinée du « vaisseau spatial », un autre pied de nez à la véracité historique et une seconde référence à la saga de George Lucas, que je ne peux m’empêcher de vous partager ci-dessous.
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Satire d’une religion que l’on comprend toujours de travers, moins une critique de la figure divine elle-même, ce film pointe du doigt la crédulité de tous les personnages, sans exception, et leur tendance à surinterpréter les signes. Au bout du compte, La Vie de Brian, c’est un peu la vie de Jésus si elle n’avait pas été récupérée et mythifiée par l’Église. Soit l’histoire d’un anonyme qui devient révolutionnaire pour s’opposer à l’ordre établi.
Solveig Chaton
Revue des Études Anciennes, Université Bordeaux Montaigne
1Je vous invite à taper « liste films empire romain » dans votre moteur de recherches, catégorie images, et à constater l’homogénéité des affiches recensées.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
reainfo (24 décembre 2024). 24 – La Vie de Brian (1979). Actualités des études anciennes. Consulté le 8 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12zrz