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Les Mythes gréco-romains

BRUNEL (P.), Les Mythes gréco-romains – Paris : Presses universitaires de France, 2024. – 336 pages – ISBN : 9782130860068.


Première de couverture © Brunel, PUF.

Professeur de littérature comparé et auteur de multiples ouvrages tant sur la mythologie, la musique que la poésie, Pierre Brunel s’attache ici sur plus de 330 pages à embrasser l’ensemble des mythes gréco-romains. En quoi son érudition permet-il de se distinguer de la pléthore d’ouvrages de ce genre sortant chaque année dans nos librairies ? Ce livre arrive-il à allier didactisme et rigueur universitaire ? Comment articuler la relation pas si facile entre mythes grecs et romains ?

Il ne s’agira pas tant ici de lister de possibles erreurs et approximations sur la narration des dieux et héros. Pierre Brunel étant un éminent spécialiste, nous n’avons pas trouvé le genre de raccourcis qui se comptent par dizaines dans les ouvrages de vulgarisation sur la mythologie. Ce qui est le plus intéressant ici, c’est de comprendre le plan et les partis pris mis en place par l’auteur pour proposer une nouvelle approche et organisation des mythes, connus a priori par les lecteurs de l’ouvrage.

Dans les pages d’introduction qui convoquent tant Mallarmé que Pythagore, l’auteur explicite clairement le lien entre mythologie grecque et romaine : les mythes sont par nature protéiformes et issus de multiples influences. La cosmogonie grecque a été influencée par les mythes orientaux, tout comme la romaine, ce qui ne les empêchent pas d’avoir leur propre singularité. D’un point de vue pratique, l’auteur donne les noms grecs ou latins des dieux en fonction du contexte et des sources utilisées. Il s’agit avant tout de celles des poètes et tragédiens du Ve siècle athénien et du Ier siècle romain avant notre ère : Hésiode, Homère, Eschyle, Sophocle, Euripide, Virgile et Ovide. Il règle, selon nous, un peu trop vite le sort des mythographes comme Diodore de Sicile. Aussi, Pseudo-Apollodore, pourtant à l’origine d’une grande somme en la matière[1], n’est même pas cité dans son introduction. À ces derniers il préfère la poésie avec des citations et références anachroniques à des poètes, philosophes ou écrivains comme Voltaire, Charles Baudelaire ou André Gide. Ce qui confère à l’ouvrage une certaine subjectivité, mais qui en fait aussi la force étant donné l’érudition de l’auteur[2]. Quant au style d’écriture, l’ouvrage se lit de manière très agréable. Les notes de bas de pages sont peu nombreuses et uniquement là pour donner les sources des citations.

Le livre se décompose ensuite en vingt chapitres regroupés en quatre grandes parties : le monde des dieux, la naissance de la Terre et des hommes, les épopées et, enfin, le monde des morts. Cette division entre le divin et l’humain est plutôt classique sauf pour la dernière partie sur le royaume d’Hadès. À la décharge de l’auteur, il est toujours compliqué de vouloir catégoriser un univers aussi diversifié et interconnecté. Décrire le dieu Hadès et ses prérogatives pourrait ainsi être le sujet d’un long paragraphe dans chacune de ces quatre parties. De même, Hercule est surtout traité dans la partie deux alors qu’il pourrait l’être dans la un, en tant que fils de Zeus et dieu de la jeunesse et des éphèbes ; dans la partie trois, en tant que héros fondateur autrement que par sa participation à l’épopée des Argonautes ; dans la partie quatre, par son lien ambigu avec l’Hadès (ramener Cerbère, sauver Prométhée et Thésée, mais aussi avec sa propre mort épique par immolation avant d’être « ressuscité » par Zeus). L’auteur s’en sort néanmoins très bien par ses rappels constants[3] qui montrent quelles sont les figures et thématiques qui infusent l’ensemble des mythes.

Entrons maintenant dans le détail des quatre grandes parties. Les chapitres un et deux listent de manière assez classique la cosmogonie olympienne en se basant sur la Théogonie d’Hésiode. C’est surtout le chapitre trois, sur « la multiplication des divinités » qui est très original, car elle intègre des siècles de modifications dans une mythologie qui n’est jamais figée. L’auteur y décrit les divinités importées et leurs apports dans l’imaginaire antique tel que Mithra, les constellations, les dieux lares… Ces personnages sont souvent considérés comme mineurs et les inscrire comme des divinités à part entière du panthéon gréco-romain est tout à fait logique et riche de sens. On comprend que si cette religion a perduré, c’est grâce à sa porosité.

La partie deux cherche aussi l’originalité en explicitant les mythes liés au naissances à la fois de la nature, des monstres et des hommes, ainsi que les allers-retours entre eux par le bais des métamorphoses tant décrites par Ovide. Or de naissance, il en était aussi question dans la première partie avec la Théogonie. Pourquoi donc cette séparation alors que l’on y retrouve Zeus ou Prométhée ? C’est qu’elle permet çà et là de tirer des fils d’Ariane peu usités telle la notion de féminin/masculin chez les monstres. Nous avons particulièrement apprécié le développement, à la suite du mythe de Deucalion et Pyrrha, de ce qui fait un bon ou un mauvais homme. L’occasion de décrire le destin de héros/héroïnes perçus comme exemplaires tels Alceste, Hector et Ulysse.

La troisième partie, qui rassemble le plus grand nombre de chapitres (sept) est aussi la plus classique puisque détaillant les différents cycles héroïques de Thésée à Romulus en passant par Jason, Ulysse et Enée. S’en distingue quelques détails parfois oubliés de grands personnages comme la mort de Minos ou les multiples vies de Médée. Pierre Brunel questionne aussi la naissance des mythes dans l’Histoire romaine dans une dernière sous-partie « d’Alexandre à Auguste : la divinisation du souverain ». Ce pan de l’histoire antique est, en effet, rarement rattaché à la mythologie alors que les Principes[4] étaient divinisés après leur mort et avaient leurs temples, à l’égal des divinités traditionnelles.

Vient enfin la quatrième partie, consacrée aux monde des morts. C’est sans doute celle qui intrigue le plus à la lecture du sommaire. Pourquoi en effet séparer le monde d’Hadès de celui de Zeus, sans le faire avec le royaume des mers et océans du troisième frère, Poséidon ? C’est que, nous rappelle l’auteur, le passage dans le monde souterrain est un sujet très prégnant des poètes avec les voyages du premier d’entre eux, Orphée et ceux d’Ulysse dans l’Odyssée[5] et d’Énée dans l’Énéide[6]. Ils obéissent tous à un schéma quasi identique avec ses rites et ses protagonistes. De plus, la question de la finitude interpelle l’humain comme le divin. Comme dans les autres grandes parties, c’est dans le dernier chapitre que l’on retrouve les approfondissements les plus riches de Pierre Brunel : l’oubli des âmes, la réincarnation des héros et la finitude des dieux. Ces derniers peuvent être blessés, à l’image d’Arès lors de la guerre de Troie par Diomède, mais peuvent-ils pour autant mourir ? L’auteur énonce en guise de conclusion :

« On connaît la formule “Les dieux sont morts”. Ils ne le sont pas en littérature et en art. Mais, en ce qui concerne les dieux antiques, ils le sont dans la foi des Modernes, croyants ou non, quelle que soit leur religion[7]. »

Ainsi Pierre Brunel, avec Les mythes gréco-romains, apporte sa propre pierre à l’édifice de la compréhension des mythes. Nombre de ses pages sont assez classiques dans le fond comme dans la forme, ce qui est inhérent à ce genre d’ouvrages en raison du cahier des charges qui est de décrire tous les personnages et légendes de la mythologie classique. Il apporte néanmoins de nombreux approfondissements bienvenus sur l’évolution de ces mythes dans la religion et dans la culture antique. Alors que la mythologie gréco-latine est souvent traitée comme un tout, voici un ouvrage de référence qui cherche à rendre les spécificités et les traits d’unions des apports orientaux, égyptiens, grecs et romains. Le tout présenté dans la plus belle des langues, celle des poètes.

Cyrille Ballaguy

Médiateur culturel – site archéologique de Gisacum

Docteur en muséologie – Université de Lille


[1] La Bibliothèque, sous la direction de Paul Schubert, Editions de l’Aire, Vevey, 2008.

[2] Que l’on pourrait rapprocher du récent ouvrage, tiré de ses émissions radiophoniques, de Pierre Judet de La Combe, Quand les Dieux rôdaient sur la Terre, Les Belles Lettres et Albin Michel, Paris, 2024.

[3] Soit directement dans le texte où il mentionne d’autres chapitres entre parenthèses ou de manière indirecte par la juxtaposition de certains mythes.

[4] Nom donné au Premiers des sénateurs, autrement dit : l’empereur.

[5] Homère, Livre XI.

[6] Virgile, Livre VI.

[7] Pierre Brunel, Les mythes gréco-romains, PUF, Paris, 2024, p. 325.

 

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cyrille Ballaguy (20 janvier 2025). Les Mythes gréco-romains. Actualités des études anciennes. Consulté le 25 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/133y8


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