Aux origines des Jeux Olympiques. GymnAsia. Concours et culture athlétique dans l’Antiquité grecque
Catalogue d’exposition – Fröhlich (P.), Pichler (M.) et Schuler (C.), dir. Aux origines des Jeux Olympiques. GymnAsia. Concours et culture athlétique dans l’Antiquité grecque – Bordeaux : Ausonius Éditions, 2024 – 144 p. – ISBN : 9782356136329.
Ce livret d’accompagnement d’une exposition n’est certes pas sans lien avec les Jeux Olympiques de Paris 2024, mais il est d’abord et surtout le produit d’une coopération sur les plans archéologique et historique entre des institutions françaises et allemandes, plus précisément de Bordeaux et de Munich. L’ouvrage est d’ailleurs entièrement bilingue, qu’il s’agisse des textes longs ou des légendes d’illustrations.
Le projet de recherche, présenté par P. Fröhlich, est le gymnase, cet édifice typique d’une polis grecque, étudié ici dans les régions ouest et sud de l’Asie mineure. Il s’agit d’en faire l’histoire complète sur un millénaire environ, de 500 avant notre ère jusqu’à 500 apr. J.-C. Les points principaux sont bien marqués : l’origine du mot gymnasion – mais on peut rappeler que gymnos en grec, comme nudus en latin, ne renvoie pas à une nudité complète ; le principe agonal affirmé depuis Homère et qui conduit tout citoyen grec à « être le meilleur et supérieur aux autres » ; une rapide histoire du gymnase depuis l’Athènes du Ve siècle ; enfin, les grands agônes (Olympie…), leurs épreuves et tout le spectacle qui les accompagne. C’est à l’époque hellénistique et avec le Haut-Empire que les concours connaissent leur apogée dans toute la Méditerranée (cf. les cartes 1.4, 1.6, 1.8), avec des athlètes qui sont de plus en plus des professionnels, et qui peuvent devenir des notables, avant que le moindre intérêt des publics et des problèmes financiers ne conduisent à leur disparition progressive autour des années 400.

Jeune athlète liant le ruban du vainqueur autour de sa tête. Type dit du Diadumène, d’après un original de Polyclète (vers 450-425 av. J.-C.) Musée archéologique national d’Athènes © Marsyas, CC-BY-SA 2,5
Chaque texte est parfois suivi de documents épigraphiques et plus souvent de photos d’œuvres célèbres de l’art grec montrant des athlètes, avec un commentaire très pertinent, ces œuvres étant présentées dans l’exposition par des moulages venus surtout de Munich et parfois de Bordeaux : ici le Doryphore, dont une statue ornait le gymnase de Messène et le Diadumène de Polyclète, avec une réflexion sur le bandeau par rapport à la couronne de feuillage.
Dans le chapitre suivant, on s’intéresse avec M. Pichler et C. Schuler à la période préhellénistique pour constater, par exemple, que certains Lyciens pratiquaient déjà la lutte et la course en armes, et c’est la statuette du coureur en armes de Tübingen, saisi juste avant le départ, qui est proposée en illustration.
Ce sont ensuite les infrastructures qui sont étudiées. J. Bernini, qui décrit plus loin le gymnase de Delphes, prend en charge les stades et les gymnases, et fait remarquer que ces mots sont encore employés aujourd’hui – et c’est vrai aussi de la palestre et de l’hippodrome. Dans le cas des « bains-gymnases », s’il est vrai qu’à Priène la surface de la palestre est réduite pour faire place à des bains romains, on n’oubliera pas que, pour les Romains, les thermes sont leurs gymnases et que c’est là en particulier qu’ils peaufinent leur entraînement physique. M. Pichler, avant de décrire le gymnase de Pergame, se penche quant à lui sur le mobilier et le décor de ces gymnases qui accueillaient beaucoup de statues et entre autres celles d’Héraklès.
C’est un point essentiel qu’aborde P. Fröhlich en traitant du gymnase comme lieu politique, un gymnase qui au IVe s. avant notre ère devient, avec ses magistrats, une institution publique chargée de l’éphébie : il était bon de rappeler la citation de Pausanias pour lequel une vraie cité doit être dotée d’un gymnase (10, 4,1-2). Le gymnase, « creuset des élites politiques de la cité », était en effet le lieu où celles-ci perfectionnaient leur entraînement sportif et leurs études intellectuelles, et il sera l’objet de toutes les attentions des évergètes. La situation ne sera pas différente sous le Haut-Empire romain, avec bien sûr un accent mis sur le culte de la déesse Roma et la création de concours appelés Rhômaia (on n’oubliera pas d’écrire relais, et non pas relai). Le chapitre est illustré de deux textes épigraphiques très importants sur la gymnasiarchie, la loi gymnasiarchique de Beroia et l’inscription de G. Saufeius Macer.
Que le chapitre sur les sports grecs et la notice sur le Pugiliste des Thermes aient été confiés à J.-M. Roubineau n’a rien que de très normal, puisque cet auteur vient de publier deux livres excellents sur ces sujets. Après avoir rappelé les liens des épreuves athlétiques avec la guerre, la distinction entre sports lourds et légers, il suggère à propos du pentathlon que les sauteurs lâchaient peut-être leurs haltères au moment de l’atterrissage, mais en revanche il passe sous silence le fait que ce saut aurait pu être quintuple et sans élan. Ce sont ensuite des remarques très intéressantes sur les divers morphotypes, la préparation athlétique, les pratiques d’abstinence sexuelle et de suralimentation carnée : mais ces sportifs grecs n’étaient pas pour autant semblables à des cochons ! Deux autres chefs-d’œuvre de l’art grec sont aussi présentés, le Discobole de Myron et les Lutteurs de Florence, à propos desquels A. Delaplace s’interroge sur les choix parfois contestables qui ont été faits pour les moulages.
Ch. Schuler revient sur l’éducation en Grèce qui ne se limitait pas dans le gymnase à des exercices sportifs, et sur l’éphébie athénienne qui a marqué la prise en charge civique de l’éducation : les disciplines enseignées soulignent, dans les débuts en tout cas, l’importance des objectifs militaires. Diverses inscriptions d’Asie mineure occidentale (Milet, Téos…) donnent des informations détaillées et nous renseignent aussi sur les concours internes qui étaient organisés dans les gymnases. Il ne faut pas oublier tout un calendrier rituel, les fêtes en l’honneur de dieux, et d’autres documents épigraphiques montrent bien que les obligations militaires des éphèbes se sont prolongées jusqu’au début de l’Empire. Enfin, les gymnases ont été, depuis le Ve s. avant notre ère jusqu’à la fin de l’Antiquité, des lieux privilégiés de formation intellectuelle, mais la présence comme professeurs des plus grands philosophes et orateurs n’empêchait pas les élèves de couvrir de graffitis les murs de leur établissement… Les deux documents présentés à la suite sont la loi éphébarchique d’Amphipolis datant de l’époque augustéenne et qui illustre le rôle des sports à but militaire, et d’autre part la statue de l’éphèbe de Tralles qui, pour être vêtu d’un chitôn et d’une chlamyde, n’en est pas moins un athlète accompli.

Statue d’Héraclès au repos, portant des fruits dans sa main droite, détail © Naples National Archaeological Museum, Inv. 6001 – CC BY 2.5, via Wikimedia Commons.
Pichler nous rappelle qu’Hermès et Héraklès sont les dieux habituels du gymnase : leurs sculptures font partie de « la statuaire standard de nombreux gymnases » et des agônes, Hermaia et Herakleia, sont organisés en leur honneur, avec entre autres des lampadédromies. Mais, si d’autres divinités comme Apollon sont aussi présentes dans ces édifices, l’auteur a bien raison d’insister sur le fait que toutes les salles comportant des statues d’empereurs ne sont pas pour autant des espaces de culte : on a eu trop tendance pendant des années à privilégier systématiquement des interprétations religieuses. Trois sculptures sont proposées en illustration : la statue de l’Héraclès Farnèse mise au jour à Rome dans les thermes de Caracalla – les thermes sont les gymnases des Romains –, celle de l’Apollon Lykeios au corps adolescent, et la tête monumentale d’un souverain attalide trouvée dans le gymnase de Pergame.
Dans un dernier chapitre, M. Pichler et C. Schuler nous font pénétrer dans le gymnase pour en suivre la vie quotidienne : en fait n’entre pas qui veut et, sauf exceptions assez rares, gymnases comme concours sont le privilège de la population masculine libre. L’huile d’olive était essentielle pour l’entraînement des utilisateurs du gymnase, d’ailleurs appelés « ceux qui s’oignent », et le produit recueilli dans les strigiles avait une certaine valeur – c’est l’Apoxyomène de Lysippe qui illustre ce moment. Un des points les plus connus concerne les relations érotiques entre adultes et jeunes gens et, comme le montre la loi de Béroia, il y a peut-être eu dans certains cas une volonté de protéger les mineurs. L’étude se termine sur une note un peu pessimiste, puisqu’il est question d’accidents et de corruption – mais si cela concerne plutôt les concours, « dans de tels cas au moins, la socialisation au sein du gymnase avait donc manqué l’un de ses principaux objectifs, à savoir former des citoyens vertueux, dévoués au bien commun et à la réputation de leur polis ».
« Livret d’exposition » est sans doute une appellation trop modeste pour cet ouvrage qui nous apprend certes beaucoup de choses sur l’Asie mineure hellénistique, mais qui est d’abord et plus généralement une source d’informations essentielles sur la vie sportive, politique et culturelle des cités grecques sur une longue période. Par ailleurs, les œuvres d’art et documents présentés en illustration des chapitres de synthèse ont fait l’objet d’un choix très judicieux et les commentaires qui les accompagnent sont tout à fait éclairants. Il est dommage que les fonctions des auteurs ne soient pas toutes précisées : avec un glossaire, une bibliographie à jour et de nombreuses cartes très précieuses, l’ensemble est en tout cas remarquable.
Jean-Paul Thuillier
Professeur émérite, ENS/PSL
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Jean-Paul Thuillier (24 février 2025). Aux origines des Jeux Olympiques. GymnAsia. Concours et culture athlétique dans l’Antiquité grecque. Actualités des études anciennes. Consulté le 15 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13cxu