Psyché & Éros
McNAMARA (L.), Psyché & Éros, Paris : Hauteville, 2023 – 448 pages – ISBN 978-2-38122-880-8
C’est l’histoire de Psyché et Éros, et non pas, comme on l’entend traditionnellement, d’Éros et Psyché, dont Luna McNamara nous propose une réécriture. Ce choix annonce déjà la couleur de sa plume, féministe, et l’inscrit dans la tendance actuelle de réécrire la mythologie par le prisme féminin1.
L’histoire de Psyché et Éros ne nous a été transmise que par une seule source antique, les Métamorphoses ou l’Âne d’or d’Apulée. Au IIe siècle de notre ère, cet auteur latin nous raconte, dans un enchevêtrement complexe de récits enchâssés, comment le dieu de l’amour se blesse avec l’une de ses flèches et tombe amoureux de la mortelle Psyché, que la grande beauté a rendue rivale de Vénus (Aphrodite).
Dans Psyché et Éros de Luna McNamara, les deux personnages principaux alternent la prise en charge de la narration pour nous conter leur amour impossible. Éros est dépeint comme le dieu primordial du désir amoureux, aux flèches tout autant porteuses d’amour que de haine, que sa lassitude d’immortel pousse à isoler à l’écart du monde. Psyché, quant à elle, est une princesse de Mycènes, dont l’ambition est de devenir une héroïne, à l’image de son aïeul Persée qui a tué la Gorgone Méduse. Par un tour du destin, Éros tombe fou amoureux de Psyché, à qui il destinait, missionné par Aphrodite, une flèche maudite. Luna McNamara ajoute à l’intrigue quelques règlements de compte, une rancœur ancestrale, et le lien qui relie Éros à Psyché prend la forme d’une lourde malédiction à laquelle les protagonistes ne peuvent échapper.
Outre le fait d’entendre Psyché et Éros s’exprimer successivement, l’originalité de Luna McNamara réside dans la personnalité inattendue qu’elle donne à ses attachants personnages. Éros, en effet, bien qu’étant le dieu de l’amour, se révèle tout à fait inexpérimenté en matière de sentiments amoureux et échoue à comprendre ce qui motive ou met un terme au désir. C’est à travers ses yeux naïfs que l’autrice nous offre une réflexion sur la complexité de l’amour et la pluralité des formes qu’il peut endosser. Qu’Éros se retrouve pris au piège de son propre pouvoir invite également à repenser l’origine de l’amour, au-delà de l’intervention divine, ainsi que la nature insaisissable de la relation qui lie les êtres les uns aux autres.
L’évidente coloration féministe que porte la plume de Luna McNamara l’incite à rassembler plusieurs figures féminines emblématiques dans un même arc narratif, en un éventail parfois disparate : Psyché est ainsi faite élève de la téméraire Atalante, la seule femme ayant pris part à l’expédition des Argonautes2. Elle se retrouve compagne d’Hélène à la veille de son mariage avec Ménélas, que les larmes et les paroles de la future reine de Sparte dépeignent comme un viol arrangé. Par ailleurs, sa proximité avec Iphigénie la fait assister à la tragédie d’Aulis3 et questionner l’importance que peut revêtir une fille pour un père. Ces deux derniers exemples, pris parmi d’autres, soulignent les interrogations qui agitent Psyché sur la place de la fille dans la famille, celle de la femme dans un foyer, et sur leur liberté à devenir autre chose que ce que leur père ou leur mari a décidé pour elles.
Psyché croise encore sur son chemin Cérès, divinité agricole, et Perséphone, reine des Enfers, tandis qu’Éros reçoit l’aide de la Terre Gaia, d’Hécate, déesse de la magie, et même d’Éris, la Discorde. La seule exception à ce tableau majoritairement féminin est la présence facétieuse de Zéphyr, le vent de l’Ouest, plus ancien compagnon d’Éros et soutien des deux amants éplorés. Si l’apparition de ces multiples femmes de la mythologie dans la narration semble parfois forcée, la raison de leur intrication au destin de Psyché est révélée par la nature des réflexions qu’elles suscitent. L’enseignement dispensé par Atalante, par exemple, convainc Psyché qu’une femme peut, au même titre qu’un homme, se hisser au rang de héros. De même, sa rencontre avec Méduse, lors de son passage aux Enfers, si ce n’est qu’elle permet à la Gorgone de raconter son histoire sous un jour plus favorable, ouvre une discussion sur la nature des actions qui donnent au héros sa renommée.
La quête de l’héroïsme constitue en effet un autre fil conducteur de l’ouvrage. À sa naissance, les parents de Psyché apprennent de la Pythie que leur enfant terrassera une créature crainte par les divinités elles-mêmes. Au fil du cheminement de la pensée de Psyché, dont la croyance en l’oracle guide les actes et les choix, Luna McNamara propose une redéfinition de l’héroïsme, non plus en termes d’actions sanguinaires contre des créatures effrayantes à la menace imaginaire, mais en termes de courage, de persévérance et de respect.
L’ouvrage, traduit par Claire Allouch, est écrit dans une langue simple, fleurie et riche en épanchements sentimentaux. Presque aussi nombreux que les états d’âme du dieu de l’amour, les tableaux du paysage rendent visibles et très facilement représentables les différents lieux évoqués, tels que la maison d’Éros creusée dans la falaise au bord de la mer, les jardins colorés du palais de Mycènes, ou encore l’obscurité profonde des Enfers.
Si l’on pourrait reprocher à Luna McNamara la multiplication et la superposition de faits et personnages mythologiques, son érudition sur le sujet se révèle indéniable et la combinaison des différents éléments aboutit à une composition, certes parfois un peu lourde, mais savamment agencée et à l’intrigue amoureuse habilement menée.
Comme le dit l’autrice dans sa note conclusive : « Les mythes ne sont pas gravés dans le marbre. Ce sont des structures organiques, mouvantes, qui sont constamment adaptées à de nouvelles circonstances et cultures. » On ne peut que partager cette vision : un mythe est cet ensemble dans lequel coexiste une multitude de versions, textuelles et figurées, d’un même personnage ou objet. Chaque réécriture porte la marque d’une époque et transmet, de manière plus ou moins explicite, les valeurs de celui ou celle qui la façonne. « Ceci n’est que l’une des réécritures possibles du mythe. » En réécrivant le mythe apulien aux couleurs d’un nouvel héroïsme, de l’amour et du féminisme, Luna McNamara propose une relecture touchante, érudite et engagée de l’histoire d’Éros et Psyché.
Fanny Maréchal
Université de Lille
UMR 8164 – HALMA (U. Lille, CNRS, MC)
1 Depuis au moins L’Odyssée de Pénélope (Penelopiad, 2005) de Margaret Atwood, les réécritures de la mythologie du point de vue féminin abondent. On peut citer, à titre d’exemples et de manière non exhaustive, La Trilogie de la pomme d’or d’Emily Hauser (2016-2018) ; Circé (2018) de Madeline Miller ; Le Silence des vaincues (2020) ou Les Femmes de Troie (2021) de Pat Barker.
2 Les Argonautes, du nom de leur navire Argo, voyagent en Colchide pour aller chercher la Toison d’Or.
3 Faute de vent, la flotte grecque demeure bloquée dans le port d’Aulis et ne peut pas voguer jusque Troie. Pour apaiser les divinités offensées, Agamemnon offre sa propre fille, Iphigénie, en sacrifice.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Fanny Maréchal (10 mars 2025). Psyché & Éros. Actualités des études anciennes. Consulté le 15 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13ftl