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49 petites histoires dans l’histoire de l’Antiquité

CHAMUSSY (C.) et PACOTTE (L.), 49 petites histoires dans l’histoire de l’Antiquité – Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur, 2023. – 191 p. – ISBN : 978-2-8073-51112-7.


 

Première de couverture © De Boeck Supérieur

Que penser d’un volume qui commence par les mots : « Je n’aime pas les livres d’histoire » ? Assurément que ses auteurs n’ont pas souhaité produire un tel livre. Qu’ont-ils produit alors ? À les lire, une accumulation non chronologique de « petites histoires » pour reprendre les mots du titre, à savoir de petits chapitres de deux à quatre pages relatifs à des événements ou des realia, qui sont inscrits dans la plus ou moins large culture générale relative à l’Antiquité gréco-romaine. On peut citer à cet égard quelques-uns des titres des quarante-neuf chapitres :

  • « Attila, le fléau de Dieu » (chap. 1)
  • « La bataille de Marathon, une course contre la montre » (chap. 8)
  • « Une victoire à la Pyrrhus » (chap. 11)
  • « L’insoluble nœud gordien » (chap. 16)
  • « Socrate boit la ciguë » (chap. 31)
  • « César et la césarienne » (chap. 38)
  • « Riche comme Crésus » (chap. 41)
  • « Tous les chemins mènent-ils vraiment à Rome ? » (chap. 49)

Certains sont centrés autour d’une formule célèbre :

  • « Alea jacta est » (chap. 6)
  • « Il faut détruire Carthage » (chap. 13)
  • « Eurêka ! » (chap. 39)
  • « Du pain et des jeux » (chap. 46)

Sur les quarante-neuf titres, encore, treize s’achèvent par un point d’interrogation, par exemple :

  • « Les Thermopyles, un sacrifice pour l’honneur ? » (chap. 7)
  • « Antoine et Cléopâtre, une passion politique ? » (chap. 22)
  • « Les eunuques sont-ils de meilleurs esclaves ? » (chap. 27)
  • « Pythéas a-t-il découvert l’Islande ? » (chap. 28), etc.

Il s’agit ainsi d’interpeler le lecteur, de le questionner sur ses connaissances, ainsi que sur le savoir sur lequel elles reposent, et de revenir, en vue de les préciser et de les étoffer, sur quelques images toute faites relatives à l’Antiquité, un but étant de mieux appréhender le passé au-delà des mots et des expressions familières, parfois banalisées.

Le livre est d’ailleurs issu de « Passé sauvage, la chaîne Youtube aux 150 000 abonnés » (bandeau de couverture), et cette filiation se traduit dès la table des matières qui ressemble davantage à une playlist qu’elle ne rend compte d’une construction pensée et moins encore d’une succession chronologique. Certes, une frise chronologique figure au-dessus de chacun des textes, mais il aurait peut-être été plus commode de grouper ceux qui regardent une même période. À titre d’exemple, six chapitres sont pertinents à la crise de la République : chap. 2 (Pompée et les pirates), 5 (Vercingétorix), 6 (Rubicon), 20 (Antoine et Cléopâtre), 33 (les Gracques et la « naissance du populisme »), 38 (naissance de César), distants les uns des autres, et entrecoupés de chapitres sur Socrate, Romulus…

Quant aux textes eux-mêmes, ils se présentent selon un schéma identique. Nous prendrons comme exemple le chap. 35, « Le grand incendie de Rome : accident ou crime ? ». En début d’exposé figure un pitch en caractères gras :

En plein cœur de l’été, dans la nuit du 18 au 19 juillet 64 après J.-C., un incendie se déclare dans le quartier du Cirque. Poussé par le vent du sud, il s’étend rapidement au reste de la ville, dévastant tout sur son passage pendant neuf jours. Profondément meurtri et traumatisé, le peuple de Rome cherche un responsable.

Suit une introduction de quelques lignes esquissant un contexte. Après celle-ci se succèdent trois sections, en écho au texte en gras (en l’occurrence : « La poudrière romaine » ; « Lutter contre un incendie dans l’Antiquité » ; « Trouver un responsable »). Dans le corps du texte est reprise en caractères grisés une phrase particulièrement parlante :

Rome était, au moment de l’incendie, une poudrière, très loin de l’image de la Ville éternelle en marbre blanc.

Parfois, mais pas toujours, on trouve une conclusion (en l’occurrence : « L’image d’un empereur fou, livrant sa propre capitale aux flammes en déclamant des vers d’Homère est à oublier »).

Par ailleurs, les phrases sont courtes, le fond privilégie la vie quotidienne à l’exposition historique laquelle conserve des zones d’ombres (ainsi cet incendie de Rome est évoqué sans mention des Chrétiens), les sources ne sont que peu et partiellement indiquées. Les images toutes faites sont éclairées par d’autres images toutes faites (les insulae, la Domus aurea…) qui elles-mêmes auraient mérité leur chapitre, et l’on n’y voit que mal les repères que les auteurs, dans leur introduction générale, se font fort de fournir à leur lecteur. À la fin vient une figure, dépourvue de légende, représentant, en désaccord avec ce que le texte a voulu démontrer, le prince jouant de la lyre face à la Ville en flammes.

On voit de telles images dans plusieurs textes[1] ; on trouve aussi des cartes[2] ; des tableaux[3] et un extrait d’œuvre (Sapho) dans le chap. 40. Une frise chronologique générale (de 800 av. J.-C. à 500 apr. J.-C.) et quatre cartes « de tous les lieux cités dans le livre » (les fleuves n’y sont pas notés) sont fournies en fin de volume. Y sont également procurées des « ressources bibliographiques », reprenant de deux à six titres pour chaque chapitre ; beaucoup de ces titres renvoient à des manuels universitaires, voire de concours ; l’ouvrage de P. Faure, N. Tran et C. Virlouvet, Rome, cité universelle, apparaît pour neuf chapitres, celui S. Bourdin et C. Virlouvet Rome, naissance d’un empire, pour huit d’entre eux ; les sources anciennes sont rarement citées, parfois de manière imprécise (par ex. seuls les livres I et II des Histoires de Tacite sont mentionnées pour l’année 69, alors que le livre III est tout aussi pertinent). Au début de trois chapitres (9, 17, 48) sont insérés un QR Code et un lien permettant d’accéder à la vidéo correspondante dans la chaîne YouTube.

Si le schéma du texte sur l’incendie de Rome est le plus fréquent, on trouve des variantes : certains chapitres ne sont pas divisés en trois sections, mais en deux[4] ou en quatre[5] ; le chap. 34 (« Quelles sont les sept merveilles du monde ? ») comporte sept sections ; près de la moitié ne présentent pas en leur corps une seule phrase en caractères grisés, mais deux[6] ; voire aucune[7].

Au total, ces « petites histoires » exponentialisent plus qu’elles ne contextualisent une culture générale déconnectée d’une approche historienne de l’Antiquité et l’on s’étonnera d’autant que l’ouvrage – publié par De Boeck Supérieur – entende viser un public universitaire, l’Université ayant précisément pour mission de favoriser les approches critiques plutôt que les pratiques discursives. Il y a sans doute là un premier paradoxe dans la conception de ce livre, qui ne porte aucune réflexion de nature méthodologique sur la manière d’aborder l’étude du monde antique. Un second paradoxe réside dans la place anecdotique qu’y occupent les images ; issus d’une chaîne YouTube, les textes, qu’on imagine aisément en écho à un support visuel, ne sont ici illustrés – quand ils le sont – que d’une simple image placée en fin de section dont la finalité essentielle semble de combler les « blancs » les plus flagrants de la mise en page. Ces images d’Épinal vont en outre à contre-courant de la volonté des auteurs qui est d’éclairer quelques représentations stéréotypées sur l’Antiquité. Cela reflète une confusion dans la démarche de ces mêmes auteurs qui, au terme de leur 49 petites histoires, écrivent en conclusion avoir cédé eux-mêmes à la propension des historiens de l’Antiquité « pour la pourpre et les paillettes », au détriment de « la cinquantième histoire, celle que nous raconte l’archéologie, et que nous avons tenté de faire résonner le plus souvent possible ».

En somme, à mon sens, le passage de la chaîne YouTube au livre, compte tenu de surcroît du dessein des auteurs de s’adresser aux étudiants du supérieur, ne peut être tenu pour réussi, en des proportions même qui invitent à se demander s’il y avait lieu de le tenter. Reste ainsi un picorage didactisant qui peut faire songer, mutatis mutandis – et sans dessins –, à ce que furent, pour ceux qui s’en souviennent, les Belles histoires de l’Oncle Paul telles que nous les découvrions hebdomadairement dans le Journal Spirou. Tout comme celles-ci, ces « petites histoires » présentent ponctuellement un charme propre à engager à s’intéresser à l’Histoire, sans pour autant pouvoir vraiment être considérées comme un support à son étude (et moins encore à sa pratique).

Olivier Devillers

Université Bordeaux-Montaigne


[1] Chap. 1, 3, 5-7, 11-15, 20-21, 23-24, 28-31, 34-37, 39-40 ; 45, 47-48 ; crédits photographiques en fin de volume.

[2] Chap. 2, 7, 8, 12, 32, 34, 41.

[3] Chap. 9, 25, 37.

[4] Chap. 2, 4, 22, 30, 43, 45, 47-49.

[5] Chap. 24, 33, 39.

[6] Chap. 1, 3, 5-6, 10, 13, 15-16, 20, 23, 27-29, 31, 33, 36-37, 39-41, 43, 45, 48.

[7] Chap. 17, 19, 22, 26, 34, 38, 42, 44 et 46.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Olivier Devillers (17 mars 2025). 49 petites histoires dans l’histoire de l’Antiquité. Actualités des études anciennes. Consulté le 26 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13hm9


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