Sanctuaires et paysage religieux des cités du centre et de l’ouest de la Gaule lyonnaise
Bossard (S.), Sanctuaires et paysage religieux des cités du centre et de l’ouest de la Gaule lyonnaise, Rennes : PUR, 2024 (Suppl. 14, Revue Archéologique de l’Ouest) – 624 pages – ISBN : 978-2-7535-9800-3.
Il s’agit de la publication d’une thèse soutenue à l’université de Nantes en 2021 qui portait sur l’étude des vestiges de 281 lieux de culte, dont le catalogue des notices et tableaux d’inventaire est accessible en ligne[1]. La documentation archéologique est issue de fouilles préventives ou programmées, la plupart inédites, c’est-à-dire des divers rapports accessibles dans les SRA (diagnostics, rapports de synthèse de fouilles, bulletins scientifiques régionaux etc.) et s’appuie sur des images aériennes (obliques, orthophotographiques).
Le premier mérite d’une telle publication est la mise à la disposition de la communauté scientifique de cette documentation, aussi riche qu’éparpillée et dans l’ombre. Le second mérite, formel, est la qualité de la publication : la mise en forme est très soignée ; les cartes, tableaux ou plans sont clairs et lisibles ; leur lecture et les comparaisons sont d’autant plus aisées qu’ils ont été normalisés. On n’en déplore que davantage l’absence de tout index : comment retrouver l’information sur tel site au fil des chapitres ?
L’introduction essaie de définir et cerner les concepts. Par « paysage religieux » sont entendus à la fois la matérialité visible (les lieux des cultes, de toutes tailles), la mise en réseau (ce qui inclut la notion d’espace et de hiérarchie) et un sens métaphorique de la notion de paysage (des espaces culturels, des flux de personnes, de biens, de savoirs). Le choix de l’aire d’enquête – 24 cités, soit un peu plus du tiers des cités des Trois Gaules – englobe la quasi-totalité des cités de la province de Lyonnaise, sauf celle des Éduens, celle des Ségusiaves et Lugdunum. Les sources épigraphiques et iconographiques sont très peu abondantes, d’autant que ne font pas partie de l’enquête les cités qui ont fourni beaucoup de documentation de ce type pour ce domaine. Ce sont donc les vestiges archéologiques qui sont au cœur de la recherche et de l’analyse. L’objet de l’étude, les sanctuaires, fait référence aux lieux de culte considérés comme l’ensemble d’un site attribué à une ou plusieurs divinités, fréquenté par des individus d’une communauté qui y réalisent des rituels à titre personnel ou collectif.
Le livre est organisé en deux parties.
La première, « Analyse et caractérisation des sanctuaires » (p. 47-421), expose les faits, les données en trois chapitres. Le chapitre 1, « Composantes architecturales et organisation spatiale des lieux de culte » (p. 49-146), décrit les sanctuaires dans leur composition architecturale – y compris les espaces vides, ceux de circulation des hommes – et leur organisation spatiale et topographique, proposant un classement typologique (cella simple ; cella à galerie périphérique ; cella et galerie périphérique monumentale ; plan de temples classiques). Le chapitre 2, intitulé « Du mobilier aux cultes : objets et pratiques rituelles », essaie de quantifier les types de dépôts (animal, objets de la vie quotidienne, qu’il s’agisse de stips, de vêtements). Le chapitre 3 étudie l’intégration des sanctuaires dans leur environnement, de la ville chef-lieu au territoire de la cité. Il s’intéresse donc à la diversité des sanctuaires publics dans les agglomérations d’une cité, quelles qu’elles soient, et dans les campagnes (les sanctuaires ruraux). L’environnement des lieux de culte de l’âge du Fer, antérieure à la conquête romaine, est très peu connu et est mal documenté. Il l’est un peu mieux pour l’époque romaine. Mais la compréhension des caractéristiques des sanctuaires et de leur fonctionnement a nécessité d’élargir l’enquête au-delà du seul périmètre. L’identification comme sanctuaires intégrés aux sacra publica est rarement assurée par la documentation. Il y a en effet peu d’attributions épigraphiques. Le critère d’identification le plus pertinent reste donc la monumentalité des équipements ou de l’association à d’autres espaces publics. De tels sanctuaires se trouvent majoritairement dans des zones agglomérées. A contrario, cela conduit à s’interroger sur les monuments qui apparaissent isolés ou qui semblent n’avoir été intégrés qu’à des agglomérations modestes (Berthouville, Aubigné-Racan, Neuville-sur-Sarthe, Douarnenez, Méréville). La question qui se pose est intrinsèque, mais aussi celle de notre dépendance à la connaissance exacte du lieu dans l’Antiquité. Cela pourrait-il n’être que le reflet d’un état actuel de nos connaissances archéologiques, par exemple peu développées autour du sanctuaire ?
La partie II aborde le sujet dans sa dimension chronologique, « De la naissance à la fin des dieux : l’évolution du paysage religieux entre âge du Fer et Antiquité tardive » (p. 425-572). Le chapitre 4 (p. 425-459), « De l’âge du Fer à l’époque romaine : aux origines des sanctuaires », montre qu’il y a peu de sanctuaires qui ont succédé à des lieux de culte et des rituels antérieurs à la conquête romaine (Juvigné, Trolimon, Neuville-sur-Sarthe, Allonnes, Jublains, Meaux), et qu’une douzaine de sanctuaires de l’époque romaine ont été installés à l’emplacement d’un habitat groupé ou rural. Le chapitre 5, « Organisation et évolution de l’armature religieuse des cités dans le cours du Haut-Empire » (p. 461-522), indique que trois temps se dessinent : entre la moitié du Ier siècle av. et la moitié Ier siècle apr. J.-C., il y a mise en place de l’armature religieuse nouvelle, qu’il s’agisse de fondation ou de reconstruction. Du milieu du Ier s. à la fin du IIe s. les créations ralentissent, mais il y a une forte activité édilitaire. Ces réaménagements, agrandissements et embellissements s’inscrivent dans le développement général de cette activité. Ensuite, de la fin du IIe s. au milieu du IIIe s., il n’y a pas de nouvelles fondations ou constructions, on constate une raréfaction des activités religieuses, mais un entretien des lieux de culte et quelques rares réaménagements. En phase 2, les travaux sont souvent de longue durée. Dans cette phase s’enracine la concentration au chef-lieu des cultes publics de la cité. Les sanctuaires de périphérie, eux, s’inscrivent dans une histoire plus longue et plus complexe. Eux aussi peuvent connaître une monumentalisation. Une sous-partie est réservée aux sanctuaires privés (p. 516-520 : corporations, sanctuaires de quartiers, de familles). Toutefois, on dispose de très peu d’éléments à leur sujet. À partir du milieu du IIIe s., il y a déclin du nombre de sanctuaires puis une stabilisation et lorsque des travaux ont été engagés, ils n’ont plus l’ampleur des phases antérieures. Surtout, dans cette dernière phase, aucune généralisation n’est possible : il y a une très grande variété d’une cité à une autre voire à l’intérieur d’une même cité.
Vient le chapitre 6 : « La fin des dieux : des ultimes pratiques religieuses à l’abandon des derniers sanctuaires » (p. 522-572). La question à poser est celle des témoins, des artefacts qui permettent d’identifier et de qualifier la fréquentation des lieux de culte, donc de conclure (ou non) et dans quelle mesure à la fin des dieux. Ce qui apparaît dans la seconde moitié du IIIe s. est une tendance au délaissement partiel ou total des aires sacrées ou à une réutilisation des espaces pour un autre usage que religieux. Est aussi posée la question de la chronologie et des causes des fermetures des sanctuaires : sinistres naturels ou accidentels. Mais il peut y en avoir eu à toutes les époques et cela ne signale donc pas un phénomène culturel. Enfin, il faut aussi envisager la possibilité d’une cérémonie de clôture. Il apparaît donc que le déclin des sanctuaires publics ou privés est à la fois – caractéristique générale – un phénomène de long terme et en même temps un phénomène singulier et unique. Il est en ce sens variable d’une communauté à une autre et divers dans ses formes pour des raisons multiples qui dépendent de l’environnement : transformation des villes et agglomérations qui se rétrécissent, changement dans le mode d’occupation du sol à la campagne, et bien sûr transformation des modes de pensée dans le courant du IIIe siècle. Ce n’est pas la religion monothéiste chrétienne qui est le moteur premier ou principal de la disparition des sanctuaires. Leur devenir oscille entre démantèlement par démolition et remplois, et réappropriation, avec de nouveaux occupants, et installation d’autres activités. Ce phénomène n’est pas propre aux sanctuaires. Il s’observe aussi dans les uillae.
Rapidement publiée, cette thèse est une très bonne synthèse et une somme qui fourmille d’informations précises et permet d’aborder par le bas – les témoignages archéologiques – les paysages et espaces vus et vécus de l’Antiquité. On dispose à la fois d’une synthèse à jour et quasiment d’un instrument de travail grâce aux notices accessibles en ligne et aux cartes et plans qui accompagnent pas à pas, et toujours à bon escient, la lecture. Que les bibliothèques l’achètent et les collègues s’en emparent.
Nicolas MATHIEU
Université Grenoble Alpes, LUHCIE
[1] https://www.theses.fr/2021NANT2029
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Nicolas Mathieu (24 mars 2025). Sanctuaires et paysage religieux des cités du centre et de l’ouest de la Gaule lyonnaise. Actualités des études anciennes. Consulté le 26 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13k4h