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Le Grand livre des mythes grecs

SAUZEAU (P.), Le Grand livre des mythes grecs, Paris : Les Belles Lettres, 2024 – Illustré par Djohr – 576 p. – ISBN : 978225145594.


Première de couverture ©Les Belles Lettres

Mythes, mémoire, histoires : voyages poétiques dans l’imaginaire grec

Pierre Sauzeau nous livre une belle somme de la mythologie grecque. Qu’est-ce donc que le mythe ? La question, aussi connue des mythologues qu’elle est complexe trouve dans le prologue quelques éléments de réponse. Le mythe, outil à penser des Grecs qui croyaient en cette vérité venue des Muses, est ce langage « chaud » (oral) puis « froid » (écrit) qui traversa les siècles sans jamais cesser de charmer son auditoire. Or, c’est précisément à l’art du conte que nous convie Pierre Sauzeau au fil des chapitres de son ouvrage au graphisme soigné et à la mise en page agréable. De la couverture – évocatrice du bleu égéen – jusqu’aux grecques qui parcourent les en-têtes des pages, le lecteur a plaisir à regarder – avec gourmandise – et à tenir – avec satisfaction – un livre, au sens premier du terme : un objet esthétique et une somme érudite de toute une culture qui, enrichie de siècles de poésie, nous transmet tout le merveilleux de la pensée grecque antique.

L’ouvrage est divisé en dix « livres » au fil desquels le mythologue appréciera les diverses strates archéologiques de la mémoire mythique grecque – des aèdes archaïques aux tragiques et prosateurs tardifs – ainsi que les « cycles » qui l’organisent, notamment ceux de l’Argolide, de la Béotie, de Troie, d’Athènes et de Sparte. À parler de Persée, d’Œdipe, de Priam, de Thésée ou des Dioscures, sans oublier Héraclès, Pierre Sauzeau, avec une grande pédagogie, rend ce livre également accessible aux amateurs sans lesquels n’existerait pas le plaisir de transmettre ces histoires. L’auteur a d’ailleurs pris soin de les ranger en thèmes d’emblée identifiables : après les origines du monde et son partage entre les dieux (livre I), sujets si chers à Hésiode, l’ouvrage entame un périple dans le monde étrange des monstres (livre II), ces hybridités étonnantes qui sont un marqueur de tout premier ordre de la mythologie grecque.

Mais ces mythes, aussi merveilleux soient-ils, ancrés dans une approche du monde bien différente de la nôtre, étaient en même temps ancrés dans une culture sociale qui servait de repère pour ranger ce monde, car la « civilisation » ou « l’espèce humaine » dépendait de critères bien concrets. Les récits hésiodiques montrent en ce sens l’appréciation pragmatique qui conditionnait la définition de l’être humain (livre III), celle du bien et du mal, des réalités totalement étrangères à l’empire du dogme et aux paramètres éthiques auxquels l’héritage judéo-chrétien nous a habitués. En Grèce ancienne, la divinité elle-même ne saurait être conçue comme dans nos monothéismes : le livre IV ne résiste pas à conter les amours des dieux grecs, si nombreux, si violents parfois – mais les Grecs ne concevaient-ils pas les dieux à leur image ? Derrière ces histoires étranges aux contours moraux étonnants, les anciens poètes rendaient simplement compte des pratiques, des désirs de leurs contemporains ; au point que les contours des genres sexuels eux-mêmes (livre V) relevaient de normes différentes.

En sondant l’humain dans sa dimension la plus lumineuse comme la plus sombre, la mythologie n’était autre que la mise en forme poétisée des mystères et des questionnements qui ont, depuis l’Antiquité, hanté, bouleversé et structuré l’homme et la femme. Certes, les héroïnes sont peu nombreuses dans ces histoires où le motif du prince et de la princesse ainsi que notre conception romancée de l’amour étaient, pour ainsi dire, absents – ou tard venus. Les héros, qui forment la galerie de personnages des livres VI et VII, ancrés dans l’héritage mycénien et dans les âges obscurs dont Pierre Sauzeau rappelle les lignes essentielles, sont la quintessence d’une mythologie dont on oublie trop souvent les difficultés dans lesquelles elle a émergé : après l’apocalypse de l’âge du bronze, le début du Ier millénaire grec s’est débattu dans les pires affres du déclin historique et matériel – la violence frustre de l’époque homérique. C’est de là pourtant qu’est née, sur fond d’héritage protohistorique conjugué à des apports orientaux, une renaissance, celle qui a forgé cette mythologie dans toute son originalité, là où la Sphinx et le Phénicien Cadmos, l’hydre de Lerne et les monstres les plus exotiques côtoient Héraclès, Ulysse, Jason et les autres. La guerre de Troie et l’Odyssée (livres VIII et IX), malgré leur ancienneté – il s’agit des premiers mythes grecs dont on ait conservé la trace, avec ceux d’Hésiode – forment, à peine sortis des frimas de l’âge obscur, la synthèse poétique et intellectuelle brillante d’un monde imaginaire en devenir que les poètes de l’époque archaïque et leurs héritiers n’ont eu de cesse d’enrichir, de renouveler, d’actualiser, à l’aune de croyances en perpétuelle évolution mais aussi de savoirs : il suffit de se rappeler la présence, dans les mythes, de devins, de magiciens mais également de médecins (livre X). L’imaginaire grec est une poésie en action, aux prises avec son monde, en phase avec lui. N’est-ce pas cet ancrage dans la réalité qui formait la sagesse des Grecs ? Leur imaginaire et leur religion, ouverts sur le monde, étaient riches d’apports multiples et de siècles qui ne l’étaient pas moins.

C’est donc cet univers d’idées, de propositions, de solutions, de réflexions comme de rêves, d’aventures, de prospections – bref d’expérience humaine – que Pierre Sauzeau nous propose de comprendre. Il le fait dans une langue simple qui rappelle tout le plaisir que les spécialistes comme les amateurs éprouvent à étudier les anciens Grecs. Certes, l’ouvrage ne relève pas de la recherche scientifique, mais là n’est pas non plus son but. Il n’en reste pas moins pratique, notamment pour les étudiants ou tous les curieux qui découvrent cet univers et souhaitent se documenter. La fluidité et la légèreté de l’écriture n’ont pas appauvri les textes originels : adaptés au grand public, ces traditions continuent à s’offrir à nous au fil de pages agrémentées de citations originales, de références aux textes et de renvois qui, tel un index nominum inclus dans l’ouvrage, permettent au lecteur, d’une section à une autre, de suivre, tel un fil d’Ariane, le destin d’une famille, d’une cité, d’un héros, d’une divinité.

Nous parcourons la Provence, comme nous parcourons la campagne grecque la plus reculée : avec curiosité et bonheur.

Karin Mackowiak

Université Marie et Louis Pasteur,

ISTA (Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité, UR 4011)


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Karin Mackowiak (21 avril 2025). Le Grand livre des mythes grecs. Actualités des études anciennes. Consulté le 11 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13s2m


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