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Grecs et Barbares. L’enquête

LECLERCQ (B.). Grecs et Barbares. L’enquête, Paris : L’Harmattan, coll. « Historiques », 2024 – 304 p. ­– ISBN – 978-2-336-49939-0


Première de couverture © L’Harmattan

Le livre dont il est ici question, publié chez L’Harmattan, a pour but, comme l’indique l’auteur dans son avant-propos, de « raconter l’histoire de seize peuples antiques dont les racines plongent dans les temps obscurs de la protohistoire », en suivant pour ligne directrice « l’étude des interactions, pacifiques ou conflictuelles, [qu’ils ont entretenues] avec le monde grec ». Il s’agit par-là de s’interroger sur les relations entre Grecs et Barbares (l’initiale est de l’auteur) en échappant à « l’idée d’un choc des civilisations anachronique et mortifère » (p. 7). Le terme de Barbare, purement linguistique à l’origine, est en effet associé à partir de « l’expansion du monde perse et [de] la menace des peuples du Nord » aux notions de « sauvagerie, déraison et ignorance ». En clair, l’auteur se propose donc de mener une histoire des peuples que les Grecs ont considérés comme barbares afin de rendre compte de leurs principales caractéristiques et d’analyser sans préjugé les relations qu’ils ont entretenues avec le monde grec, dans une démarche qu’il présente comme « innovante dans son approche des relations entre les Grecs et leurs voisins » (p. 8). L’ouvrage s’inscrit dans la collection « Historiques » et plus précisément dans la série « Travaux », qui est présentée par ses éditeurs (p. 2) comme « ouverte aux études respectant une démarche scientifique (l’accent est particulièrement mis sur la recherche universitaire) ».

En vérité, on cherchera vainement, tout au long du livre, où se trouve la « démarche scientifique » et où s’est cachée la « recherche universitaire ». L’auteur explique d’emblée, page 8, que les sources qu’il a utilisées sont composées en grande partie « de pages Wikipédia qu’[il a] eu le loisir de rédiger [lui-même] », ainsi que de pages Wikipédia d’autres contributeurs, « remarquables de par leur exhaustivité et la qualité de leurs références ». On n’en saura pas plus sur les sources et, de fait, le livre ne contient aucune référence bibliographique précise, les rares notes de bas de page étant constituées de références aux textes antiques… De démarche scientifique et de recherche universitaire, nulle trace ici. Les sources antiques sont recensées page 293, sans que soit mentionnée la traduction utilisée (on trouve par exemple « Plutarque, Vies parallèles »), ce qui contrevient aux règles de la bibliographie universitaire. La bibliographie qui suit, uniquement francophone, est très courte, se compose d’ouvrages de type manuels et sinon, pour chaque peuple traité dans le livre, d’un livre qui a visiblement été considéré comme la référence sur le sujet. Le choix n’en est pas toujours heureux. Sur les Parthes, le livre d’André Verstandig, Histoire de l’empire parthe (2001), est dénué de toute valeur historique. Sur Alexandre le Grand, le Alexandre de Paul Faure (1985) n’est plus utilisé.

Le livre en soi se compose de vingt chapitres. Les trois premiers chapitres se veulent, pour le premier, une synthèse sur l’histoire des Grecs jusqu’à la conquête romaine ; pour le second, une mise au point sur « qui sont les Barbares » ; pour le troisième, une présentation d’Hérodote, dont l’auteur affirmait en avant-propos vouloir suivre les traces (p. 8), et auquel il rend hommage en donnant le sous-titre « L’enquête » à son propre ouvrage. Les dix-sept chapitres suivants sont consacrés chacun à un peuple, et classés dans l’ordre alphabétique. Dotés de titres surprenants (« Les Sogdiens, “Phéniciens” d’Asie Centrale » ou « Les Étrusques, une part de féminité »), ils constituent, à l’instar des fiches Wikipédia mais sans les notes qui donnent leur valeur aux bonnes fiches Wikipédia, des synthèses récapitulant rapidement l’histoire de tel ou tel peuple, de ses relations avec les Grecs et, de façon non systématique, retraçant l’image qu’on en trouve dans les sources antiques. Le choix des peuples en question n’est nulle part explicité par l’auteur ; on suppose, a priori, qu’il doit reposer sur la place que ces peuples occupent dans les textes grecs. On s’étonne, dans ces conditions, de voir les Illyriens par exemple (ou les Bactriens, ou les Sogdiens) recevoir le même traitement (une dizaine de pages) que les Égyptiens, les Perses ou les Scythes, incomparablement plus présents dans les sources. Et pourquoi faire figurer les Carthaginois et pas les Phéniciens (dont en réalité il est question dans le chapitre sur les Carthaginois) ? On s’étonne encore de découvrir un chapitre sur les Pélasges, ancêtres mythiques des Grecs, qui se retrouvent de ce fait mis sur le même plan que des peuples réels. Quant au dernier chapitre, intitulé « Les confréries de jeunes guerriers, un trait commun entre Grecs et Barbares », il déroge à la règle de l’organisation par peuple. Sa présence s’explique probablement par la volonté d’échapper à la dualité Grecs-Barbares ; il n’en reste pas moins en dehors du sujet que s’est donné l’auteur.

Les informations qu’on trouve dans ces chapitres ne sont pas intrinsèquement fausses, en général, mais elles sont tellement condensées qu’on ne voit pas quelle pourrait être leur utilité. Elles trahissent aussi souvent des conceptions périmées du point de vue historiographique. L’absence de notes bibliographiques et la très maigre présence des références antiques, combinées aux remarques précédentes, enlèvent à ces chapitres toute valeur scientifique. Quant à la réflexion sur le couple Grecs/barbares dans l’Antiquité, elle n’est pas renouvelée, ni même menée.

On se trouve donc face à un ouvrage rédigé par un auteur sincèrement intéressé par les peuples dont il parle, et qui a rassemblé des informations à leur sujet. Le livre qu’il en a tiré ne saurait toutefois être considéré comme un nouvel ouvrage de référence sur les relations entre Grecs et barbares.

Charlotte Lerouge-Cohen

Université Paris Nanterre


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Charlotte Lerouge-Cohen (19 mai 2025). Grecs et Barbares. L’enquête. Actualités des études anciennes. Consulté le 21 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13y4u


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